Imaginez-vous modifier votre alimentation de telle sorte à exclure, pendant une durée déterminée, la quasi-totalité des sucres, qu'ils soient lents ou rapides ? Renoncer aux sucreries, fruits, biscuits est déjà difficile pour un gourmand grignoteur comme Ariel, mais de plus l'exercice consistait à supprimer le pain, les pommes de terre, pâtes, riz. A quoi ressemble un petit déjeuner d'œufs au bacon sans pain pour saucer le jaune de l'œuf ? Quelle satiété trouve-t-on dans un repas sans le moindre féculent ? Stop ! Reprenons depuis le début. Pourquoi Ariel s'inflige-t-il un tel traitement ? Qu'est-ce que moi je fais pendant ce temps ? Et qu'est-ce que tout ceci à a voir avec le voyage ?
Depuis que nous préparons ce voyage, ou plutôt ce mode de vie loin des systèmes occidentaux, la question de la santé est revisitée régulièrement. Dans nos motivations pour partir tôt, bien avant l'âge habituel de la retraite, il y avait bien entendu le romantique « appel de l'océan », mais aussi la pragmatique « trouille du pépin de santé » (1). Et même quand on part jeune avec encore des années de santé solide devant soi, inch'allah, on n'est pas à l'abri. Ariel a traversé, quelques semaines avant notre départ une inquiétante crise de douleurs dorsales assortie d'insensibilité de la pince pouce-index qui faisait penser à un problème de canaux carpiens ou plus grave, à une dégénérescence de la moelle épinière dans sa partie supérieure. Le scanner n'a fait qu'aggraver l'inquiétude sans ouvrir vers des traitements. Il s'est donc résolu à remettre son corps entre les mains de la médecine « parallèle », sur les conseils d'amis et a trouvé de bons professionnels qui lui ont fait un mélange de passes semi-magiques et de manipulations douces qui l'ont remis sur pied. Cet abandon du tout médical lui a couté, et lui coute encore, lui qui est légèrement hypocondriaque et très accroché à l'idée de la couverture totale de tous les risques santé au point que notre pharmacie du bord déborde. Mais il a franchi le pas et s'en est porté bien, quoiqu'encore dubitatif sur la portée réelle des soins qu'il a reçus.
L'abandon de la logique médicale curative dans laquelle baigne notre société occidentale me trotte dans la tête depuis un peu plus longtemps. J'ai découvert il y a dix-huit mois les vertus du jeûne thérapeutique, et de nombreuses lectures m'ont encouragée à expérimenter ce procédé pour prendre soin à long terme de ma santé. Entretemps, le cancer qui a emporté maman n'a fait que multiplier ma motivation à aider mon système métabolique à se débarrasser des toxines accumulées au fil des années par notre alimentation trop riche, trop « addittivée », trop « pesticidée ». Puisque la médecine moderne et sa chimie se sont montrées impuissantes à soigner les cancers de mes deux parents, voyons ce qu'on peut faire pour empêcher qu'il ne se développe. Et il paraît que le jeûne fait bien plus pour notre santé qu'éliminer les cellules précancéreuses (2). En tout cas je m'en porte très bien physiquement et seule la dimension sociale de la privation de nourriture et l'abstinence alcoolique m'ont fait paraître longue la seconde semaine de jeûne cette fois-ci. Ariel invitait du monde à bord tous les deux jours et il me fallait une solide résolution (3) pour me contenter de ma tisane en face de leurs ti'punchs.
Quand Ariel a compris que le jeûne serait pour moi une pratique régulière, au minimum annuelle, il m’a fait promettre que jamais au grand jamais je ne lui suggèrerai d’y venir lui aussi. Heureusement, nous avons rencontré en France avant de partir un couple de navigants dont la femme est diététicienne et qui, elle, préconisait une diète « sans sucres » comme équivalent du jeûne valable pour les gens qui sont trop minces pour jeûner longuement. Son mari tient tête à un cancer de la peau depuis cinq ans grâce à ce procédé qui consiste à affamer durablement les cellules cancéreuses, dont le sucre est un des carburants essentiels, selon la recherche récente (4). Ariel, intéressé par mes expériences et dans le secret espoir de faire du bien à sa santé a longuement préparé ses trois premiers jours « sans sucres » et choisi cette période tranquille dans la lagune, pendant que moi-même je ne mangeais pas. Les premières vingt-quatre heures l’ont vu agité et presque fiévreux, son organisme se demandant ce qui lui arrivait, avec l’absence de sa « dose » de sucres habituelles (5). Il a passé ces trois jours à pester contre les Anglo-Saxons (6) dont l’éducation n’accorde pas à la nourriture l’importance qu’elle a pour les français et à développer des trésors d’ingéniosité pour préserver son plaisir gustatif. Petites feuilles de laitue tartinées de roquefort, avocat mûr à point à tous les repas, soupes de chou et viande (dont je pouvais, moi, boire le bouillon filtré), aubergine farcie, épinards aux œufs brouillés et à la muscade, etc… pas mal pour une diète, non ? (7)
Ces stratégies alimentaires, nous les adoptons avec des convictions et des incertitudes. Les lobbys médicaux et pharmaceutiques qui ont trop à perdre avec de telles approches thérapeutiques mettent toutes les entraves possibles à la recherche scientifique dans ce domaine. Les « preuves » de l’efficacité de ces approches sont rares, souvent discréditées et de toutes façons peu de financement va à ces recherches puisqu’il n’y a pas de « marché » à la clef. Donc, nous en sommes réduits à faire confiance à des lectures scientifiques et non scientifiques clairsemées et à des témoignages personnels. Une sorte de pari, dit Ariel. Une confiance raisonnable dans les sources, dis-je. Mais Ariel et moi n’avons pas lu les mêmes choses et n’en sommes pas au même niveau de conviction. Je suis déjà décidée à adopter le jeûne périodique dans mon mode de vie tandis qu’il est juste en train d’expérimenter quelque chose, pour voir comment s’y prendre, au cas où dans l’avenir, une situation médicale l’accule à rechercher une alternative non allopathique.
Il ne s’agit pour le moment que de tenter de modifier des probabilités dans la grande loterie cosmique de la vie.
- Combien d’histoires n’avons-nous pas lues ou entendues, sur des navigateurs ayant soigneusement préparé le grand départ pour le jour de la retraite, qu’un AVC ou une crise cardiaque empêchaient finalement de partir, le bateau finalement revendu ? Ou d’histoires de voyageurs touchés par un tel accident dans la première année de voyage, faisant tourner l’aventure au cauchemar.
- Le repos digestif permet au métabolisme de prendre le temps de faire des petites corrections, le sevrage alcoolique qui va avec ne peut pas faire de mal, certaines affections inflammatoires comme les arthroses sont apaisées et même certaines allergies. Un autre effet, en ce qui me concerne, a été de modifier mon rapport à l’alimentation en plus de m’alléger progressivement, de mes graisses excédentaires. Quand je pense à tous les régimes que j’ai pu faire sans jamais vraiment résoudre mon surpoids !
- Et une bonne compréhension des risques encourus en cas de bricolage avec les règles du jeûne. Mon intention n’est pas de faire croire que jeûner est facile et peut s’improviser.
- Nous restons en contact avec Meme et Mike et il est question que nous soyons relecteurs, et peut-être traducteurs, du livre que Meme rédige actuellement sur cette approche « sans sucres ».
- Symptômes de sevrage légers, mais je l’ai vu tout de même au bord de craquer si on ne trouvait pas une solution pour qu’il ait quelque chose au gout sucré à se mettre sous la dent. Nous avons improvisé une sorte d’omelette sucrée au stevia chargée de noix de coco et cacao qui a fait un substitut de biscuit pour passer la crise de « manque ».
- Les Anglos Saxons sont les seuls à avoir publié sur internet des propositions de menus adaptés à cette diète « ketogenique »
- Mais pour la prochaine fois, il faudra qu’on trouve de la farine d’amande, parce qu’il n’est « pas possible de rester sans pain pendant une semaine, tu comprends ? », disait-il, convaincu, à celle qui, face à lui, ne mangeait rien de solide depuis déjà 10 jours !
Toujours un vrai bonheur de lire tes témoignages. Cette question de jeûner m'a interpelée aussi il y a quelques temps, sans être passée à la pratique. J'hésite à le faire non accompagnée en fait. et toi, comment as tu commencé, sur quelle durée?
A la joie de te lire.
Patricia
Rédigé par : patricia | 15 avril 2015 à 13:35
Bonjour Patricia, toujours un plaisir de savoir que tu continues à nous lire !
Avant de me lancer dans l'expérience du jeûne, j'ai énormément lu, des textes scientifiques et des textes de praticiens (ainsi que des textes d'objecteurs d'ailleurs). Puis j'ai commencé très sérieusement avec la préparation intestinale recommandée (la modification progressive de l'alimentation pendant les 5 jours précédant l'arrêt de l'alimentation). J'ai gardé les livres sous le coude pour vérifier si ce que je vivais et ressentais était normal (douleurs passagères, vertiges) et j'ai été hyper rigoureuse dans le processus de réintroduction des aliments après la fin du jeune (le même chemin en sens inverse, sur un peu plus longtemps).
Premier jeûne : 7 jours mais dès le 3ème jour la faim avait disparu.
Second jeûne : 10 jours
Troisième jeune 6 jours car je disposais de moins de temps tranquille
Quatrième (ici) : 14 jours - C'est une bonne durée que j'envisage de faire au moins une fois par an.
A noter: c'est à chaque fois plus facile, comme si le corps comprenait plus vite ce qui se passe et s'adaptait plus vite. Maintenant je sais que je peux mener une vie pratiquement normale après les premières 48heures. La preuve, on a fait le carénage au 10ème jour et je n'ai pas molli dans le travail!
Le suivi médical de ces expériences serait nécessaire si tu as des soucis de santé (cardiaque, asthme, etc..) ou un traitement médical continu parce que le corps réagit différemment aux médicaments.
Pour ta sécurité :
- surtout ni alcool ni café pendant le jeûne
- ne pas bricoler la réalimentation
On peut poursuivre l'échange par mail, si tu veux.
Bon courage
isabelle
Rédigé par : Isabelle | 23 avril 2015 à 21:16