Gros Temps est une expression du monde de la mer. Le gros temps, ça commence quand l'équipage ne peut plus penser à autre chose qu'à la situation du bateau. Voici une petite fiction où l'on entend un navigateur en escale de longue durée à La Paloma interpellé au fil des jours par des promeneurs sur le quai. Traduction approximative de l'Uruguayen, sauf les grossièretés. Toute ressemblance avec des personnages existants ou des faits réels n'est que le résultat du manque patent d'imagination de l'auteur. En revanche, la sollicitude de la Préfectura Naval uruguayenne n'est sans doute que phantasme.
Le Douanier – Alors, ils s'en vont. Sympa ces deux-là, regarde comme ils répondent à mon salut ! Holà ! Bon vent, bonne mer, on se revoit au printemps ! Ils m'ont dit que souhaiter bon vent, ça ne suffit, pas, il faut aussi souhaiter bonne mer.
Le Navigateur – C'est sûr qu'avec ce qui les attend, la mer ne sera pas de tout repos. Même avec ces crétins de la météo qui sont pas capable de prédire quoi que ce soit de valable, dans cette région, on sait bien comment ça se passe : quand tu prends la mer pour plus de trois jour, t'es presque sûr de chopper une raclée, du genre 50 nœuds à Rio Grande ! Et là, faut voir ce qui souffle encore, le coup de vent n'est pas tout à fait fini. Regardez, d'ailleurs, ils sortent juste un tout petit bout de voile à l'avant, un foc réduit. Presque une voilure de tempête.
La Policière de la Mer – Pourtant, on a tenté de les retenir, vous savez !
LN - Ouais, avec votre papier à la con, qu'il faut signer comme quoi on a bien lu la météo, avis de grand frais et tout le tintouin. Le parapluie, quoi. Vous autres de la Prefectura Naval, vous pétez de frousse depuis ce bateau argentin qui a perdu tout son équipage l'an dernier. Mais un papier signé, un permis de navigateur, une autorisation administrative, toute votre paperasse, ça empêchera jamais la mer de prendre des gens, surtout s'ils partent avec un bateau en mauvais état et un équipage pas expérimenté. Ces deux-là (il désigne le bateau qui s'éloigne) racontent qu'ils iront en Patagonie l'an prochain, alors vaudrait mieux qu'ils sachent faire avec le temps d'ici. C'est peut-être même pour ça qu'ils sont partis avec ce vent, d'ailleurs.
LPM – Que voulez-vous dire par là ? Qu'ils font exprès d'aller dans la tempête ?
LN – Peut-être.
LD – Ho ! Là ! Bon j'y connais rien, moi, mais pourquoi feraient-ils ça ?
LN – Peut-être pour apprendre des trucs qui ne s'apprennent pas dans les livres.
LD – Enfin ! Ils sont tout de même venus de France, avec ce petit bateau ! Ils doivent être quand même très bons marins, non ? Qu'ont-ils encore à apprendre ?
LN – Oh, deux ou trois choses que les gens comme moi ne cherchent pas à apprendre, parce qu'on ne va pas aller voir la Terre de Feu. Des choses à propos de la solidité du bateau et de la résistance de l'équipage.
Jour 4 :
L'Ami – Des nouvelles de nos amis ?
LN – Non, ils ne se sont pas arrêtés à Rio Grande. Avec ce qui leur a soufflé dans le c***, ils ont dû passer devant comme une balle, en espérant arriver à Imbituba pour s'y réfugier avant la baston dans le nez. Mais bon, faut pas rêver, leur bateau, c'est pas un coursier de régate. L'ennui c'est que le long de cette côte, les courants sont dictés par les vents. Donc le vent contraire, c'est double peine avec courant contraire.
LA – Alors qu'est-ce qui va se passer ?
LN – Au vu de la météo, c'est le moment d'apprendre quoi faire d'une courte journée de répit entre deux coups durs. Quand on est épuisé, le bateau en désordre, et qu'on a peut-être une ou deux casses mineures à réparer. Si tu te reposes, tu risques d'aggraver les casses dans les jours suivants. Si tu ne te reposes pas, tu risques de ne pas prendre les bonnes décisions. Y'a un savant dosage à trouver. C'est aussi le moment d'armer le tourmentin, le foc de tempête.
LA – Oh, purééee, on leur souhaite bonne chance, non d'un chien !
LN – Bon, ne paniquons pas, le vent ne porte pas à la côte, il pousse parallèlement au rivage, donc ils ne sont pas vraiment en danger avec leur bon bateau costaud. Dans le pire des cas, ils reperdent une partie du terrain gagné sur le nord, en partant au large, et dans le meilleur des cas, ils se bagarrent et ne font que piétiner sur place contre vent et courant, en attendant que les conditions changent.
Jour 7
La Policière de la Mer – On a besoin de votre avis à propos des deux français du Skol. Vous avez des nouvelles ?
LN – Non. Appelez les Brésiliens !
LPM – Imbituba ne répond pas. Je veux dire qu'ils ne les ont pas entendus signaler leur passage. Ça me travaille un peu, ce silence. Faut dire que je les ai pris en affection depuis leur arrivée mouvementée en novembre dernier.
LN – Ah, c'était vous, la voix dans la tempête….
LPM – Oui, c'était moi.
Jour 10
A la Prefectura Naval
La Policière de la Mer – Chef ! Chef ! Je crois que mon fils les a localisés grâce à internet ! Il voyait que je me faisais des soucis, alors il a cherché s'ils étaient enregistrés dans un système de suivi, et il a trouvé. Y'a une position récente qui a été envoyée du bateau par satellite, ils ont passé Cabo de Santa Marta Grande, ils sont pas mal plus au nord que ça, depuis hier.
Le Chef – Bon, bon, donc pas de casse, pas de disparition en mer ! Mais …. Ça veut dire qu'ils ont menti en disant qu'ils n'avaient pas de téléphone à bord ? Allez voir l'autre français pour en savoir plus.
Sur le quai, un quart d'heure plus tard
LPM – Vous qui connaissez les deux du Skol, vous croyez qu'ils ont de quoi envoyer une position par satellite ?
LN – Ouais, pourquoi ?
LPM – Y'a une position à cent milles au nord de SANTA MARTA GRANDE depuis hier. A votre avis, c'est eux ?
LN – Bien ! Alors ils ont décidé de continuer ! Bien, bien. Chouette pour eux. Pas trop perdu de terrain dans le coup de nord, alors, on dirait. Maintenant, à eux les plateformes pétrolières et peut-être quelques baleines, c'est la saison. Tiens, je vais aller voir à quoi ressemble la météo (des connards qui savent rien prévoir) pour le dernier tiers de la route.
LPM – Bon, me voilà soulagée….
Jour 12
Le Douanier – Au fait, ça fait plus de dix jours, depuis le temps, ils doivent être arrivés, non ? Vous avez des nouvelles ?
LN – On en a eu y'a trois jours, ils avaient bien avancé. Mais j'ai suivi la météo de la fin de leur route. A mon avis, ils sont en train d'en baver encore une dernière tranche, les pauvres. Les vents sont encore pile poil de face, ça veut dire qu'ils se tapent encore deux ou trois jours de zigzags usants.
LD – Et ça se passe comment, les zigzags ?
LN – Les zigzags, c'est lent, le bateau penché et le pont aspergé par les vagues. Pas moyen d'aérer le bateau, ni de lire, ni de cuisiner. En fait, je me demande même s'ils ont réussi à quitter les bottes et le ciré depuis le début ! Bon, notez bien que sous le ciré, on peut gager qu'ils sont passés de la polaire au teeshirt, parce que la température là-haut, c'est pas comme ici. Enfin, si je résume, ils ont eu du vent fort tout le temps tantôt dans le dos, tantôt dans le nez. A peine un petit break à chaque changement de sens, une journée un peu plus calme, et encore, même ça c'est pas certain. S'ils arrivent au bout sans casse et avec le sourire, ça voudra dire qu'ils sont sérieux à propos du grand sud.
LD – Comment ça ?
LN – On peut regarder les choses du point de vue de la distance parcourue dans des conditions difficiles. Disons que s'ils avaient fait cette route vers le sud, par exemple en partant de Mar Del Plata, ils seraient déjà rendus à l'entrée du Détroit de Magellan. Or, si j'ai bien compris leur projet, ils n'ont pas l'intention d'y aller d'une traite, mais en trois ou quatre étapes, donc leurs épreuves vers le Sud seront de plus courte durée. C'est pour ça que je me demande s'ils ne l'ont pas fait exprès. Comme pour tester leur endurance. Mais finalement peut-être que ç'est pas du tout ça. Peut-être qu'ils avaient juste envie d'une longue hauturière comme ils aiment et qu'ils se sont trouvés un peu embarqués malgré eux dans cette épreuve d'endurance.
Jour 14
L'Ami – Vous êtes au courant ? J'ai un pote à la Prefectura Naval, ils disent qu'on a une position pour Skol juste à l'entrée de la Baia de Ilha Grande ! Donc ils sont arrivés à bon port.
LN –Ben finalement, moins de quinze jours pour faire toute cette route, presque mille miles au total, ça me laisse songeur. Moi je mets plus d'un mois pour aller jusqu'à Ilha Grande. Forcément, je m'arrête deux ou trois fois en route pour attendre des conditions de vent favorables. Ahhhhh, les veinards ! Maintenant ils sont en teeshirt, ancrés près d'une plage tranquille, face aux montagnes couvertes de forêt tropicale, et en plus à la bonne saison !
LA – Pourquoi la bonne saison ?
LN – Parce qu'ils échappent au grouillement des bateaux à moteur qui sévit pendant la saison estivale, quand les connards de riches de Rio et Sao Paulo déboulent et envahissent le moindre mouillage, avec musique et jet-skis !
LA – Qu'est-ce que vous attendez pour y aller, vous autres ?
LN – On y va, on y va. Nous aussi on va passer l'hiver au Brésil et on revient au printemps !
LA – Tu crois qu'ils vont raconter ça dans leur blog, pour qu'on sache comment ça c'est passé en vrai ?
LN – Ca m'étonnerait. T'as bien vu, leur blog ne parle pas vraiment de navigation. Faudra attendre le printemps et leur retour pour les interroger. Ou bien tu vas les voir là-bas et tu leur demande.
J'aime beaucoup cette "fiction". J'aime beaucoup la vague. Joli trait d'eau.
Bises
Rédigé par : Loïck | 12 juillet 2015 à 00:07
Merci Hugues, j'ai adoré libérer mon écriture de la contrainte de la vérité !
combien de déclenchements d'obturateur en vain pour finir avec une demi-vague...! Il faut dire que quand elles sont vraiment belles, on n'a pas la tête à faire des images.
a bientôt, dans cet hémisphère
bises
Rédigé par : Isabelle | 12 juillet 2015 à 21:19