Contrairement à ce que nous annoncions dans une note récente à propos des visiteurs, nous avons embarqué en Uruguay une parfaite inconnue. Elle s'appelle Ruth - une fille, bien entendu, aux formes rondes, pensez donc ! - et elle pointe son joli nez vers le vent. Nous lui avons aménagé une place bien à elle à bord, avec vue imprenable sur la mer et espace dédié dans les équipets, ce qui nous a couté quelques jours de labeur. Le courant est passé très vite entre nous. On n'en attendait pas moins, en fait, puisqu'elle a été recrutée justement pour venir renforcer l'équipe EDS du bord. Elle forme donc un binôme avec MC qui, lui, ne travaille que le jour et tous les deux œuvrent conjointement avec la famille Baba Cool, le couple logé en fond de cale et tous leurs petits accus disséminés dans les divers équipements du bord. Yann vient en renfort quand vraiment ça va mal, mais le moins souvent possible. On soupçonne qu'une idylle se noue entre Ruth et MC, parce que le gaillard, curieusement, lumineusement, produit plus depuis qu'on l'a branché à sa collègue à travers le nouveau régulateur.
Mais elle nous a donné des soucis, tout de même. Quand elle a découvert la haute mer pour la première fois, avec la houle, les vagues, elle ne savait plus où donner de la tête, tourbillonnant sans cesse au lieu de simplement tourner rond. Bon, c'est peut-être normal, une question d'équilibre, nous sommes-nous dit. Mais voilà-t'y pas qu'au bout de 48 heures de mal de mer carabiné, elle semblait avoir décidé de jeter l'éponge et renoncer à la vie de voyage qu'on lui proposait ! Elle pétait un câble, ou plutôt elle desserrait un boulon ! Prête à se jeter à l'eau, comme ça, en pleine tempête ! Quelle partie de voltige ça nous a pris de la convaincre de rester parmi nous, lui dire dans l'oreille que le mal de mer finit toujours par passer, qu'elle va en voir du pays grâce à SKOL, que son petit copain MC ne s'en remettrait pas si elle nous quittait déjà, que la famille Baba Cool compte sur elle, etc… tous les arguments, quelques câlins, un coup de lime et quelques gouttes de liquide bleu magique (4). On a à peine eu le temps d'avoir le vertige, bien attachés par nos harnais à l'arrière du bateau pendant que les montagnes liquides se précipitaient sur nous l'une après l'autre et que le Skol dansait et surfait à toute vitesse.
Note 1 - Qu'avez-vous fait de votre décroissance ? M'a demandé ma fille comme si j'avais à lui rendre des comptes sur ma consommation électrique. Et de fait, je lui en dois. Nous tous, les « vieux » énergivores, devons rendre des comptes aux générations qui nous suivent sur l'état dans lequel nous leur transmettons la planète et ses ressources. J'avoue que, depuis un an que nous n'avions plus connu de raccordement au 220V, nous contentant des petits 50W de MC, et malgré l'abondance de soleil que nous avons connue, les batteries était trop souvent en limite, et nous tout le temps en vigilance, à doser les priorités de recharge. Ariel dit que c'est à cause des ordinateurs ce qui est un peu vrai, mais on a quand même découvert au passage que notre radio (VFH-AIS) consomme un bras, même en veille. Et il y a notre choix d'un antifouling électronique au lieu de la peinture toxique habituelle sur la coque, qui nous permet certes de caréner où on veut sans endommager la nature, mais qui consomme tout de même un peu de jus pour fabriquer les ultra-sons destinés à décourager (un certain temps) les algues de pousser chez nous. Bref, la restriction permanente a fini par nous lasser un peu et on s'est demandé aussi comment ça se passerait en Patagonie, région réputée pour sa couverture nuageuse.
Note 2 - Il reste encore les jours sans vent ni soleil, que nous rencontrons en abondance ici à Ilha Grande. Ruth se contente de contempler le paysage tropical faisant semblant de s'activer fugacement lorsqu'un léger flux d'air contourne une hauteur voisine et MC fait la grasse matinée en attendant l'heure hypothétique où le soleil percera la couverture nuageuse.
Note 3 – Pour ceux qui n'auraient pas encore saisi, MC est un panneau solaire, Ruth une génératrice éolienne, les Baba Cool sont les batteries qui ne coulent pas et EDS signifie Electricité De Skol. Yann est le moteur, mais lui, vous le connaissiez déjà.
Note 4 - Le liquide bleu est l'ami des mécaniciens. En sêchant, il durcit, formant un frein pour empêcher que la vis ne se dévisse. Particulièrement utile avec les engins qui vibrent.
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