C'est presque la seule chose qu'on avait vraiment envie de voir à Rio de Janeiro, cité autoproclamée « merveilleuse ». Mais non, on n'est pas au zoo ! Il faudrait du temps et une vraie raison pour y entrer (1). II faudrait, pour y entrer, connaitre quelqu'un ou chercher quelque chose qui se trouverait là et pas ailleurs. Nous ne pouvons pas y aller juste pour voir alors que nous n'avons rien à y faire. Pour voir quoi, d'ailleurs ? La misère ? La débrouille ? La précarité ? L'insalubrité ?
La misère de ceux qui ne vivent qu'avec les maigres aides gouvernementales (2).
La débrouille de ceux qui descendent tous les jours, hommes bien habillés, filles fardées pour bosser « en bas » (3), légalement ou au noir et remontent avec un revenu qui permet d'entrer dans le monde de la consommation.
La précarité des logements accrochés à flanc de colline, hors de tout plan d'urbanisme ou de règlements de sécurité.
L'insalubrité d'une véritable « ville dans la ville » (4), mais une ville sans réseau d'évacuation. Une ville qui laisse tout partir à l'océan, par des rigoles à ciel ouvert dont la saignée nauséabonde traverse ou longe les quartiers chics - équipés, eux, de tout à l'égout - avant de se déverser dans la mer.
Mais les favelas, c'est surement autre chose encore que ces évidences-là et d'autres tant de fois rebattues. Il faudrait du temps et des rencontres pour comprendre comment certains, comme ce jeune coiffeur, choisissent de continuer à y vivre alors qu'ils ont les moyens de se loger ailleurs, comprendre de quoi se tisse cette affection pour un lieu de vie que le reste du monde pense honteux ou détestable. J'aimerai avoir du temps pour observer les frontières qui séparent les quartiers chics des favelas, et en voir les porosités, les circulations, les trafics, comme à travers ce mur dans lequel sont tolérés et maintenus des trous calibrés pour permettre le passage de cigarettes, bières ou même plats cuisinés, mais pas des épaules d'un enfant. Il faudrait du temps et des essais pour connaitre ceux qui, de l'intérieur, offrent leur canapé en couchsurfing (5) et ceux qui, de l'extérieur, se risquent à les prendre et ce que ces rencontres leur apportent. Il faudrait des contacts bien renseignés pour déchiffrer un à un les messages qu'envoient au reste du monde les graffitis tracés sur les murs tournés vers l'extérieur. J'aimerai aussi connaitre mieux l'histoire, le fil, l'enchainement des constructions de ces carrés de brique nue encadrés par les ossatures de béton (6), grimpant les uns sur les autres à la recherche d'un peu plus de place, ou s'épaulant les uns les autres de guingois, et menaçant de s'effondrer sous le poids les uns des autres. Que pensent-ils de la vue exceptionnelle dont ils jouissent, pendant que les quartiers chics sont « en bas » ? Quelle importance a pour eux la « vue sur mer » ailleurs tant prisée ?
Il faudrait des mois ou même des années pour comprendre comment une favela prend vie, se structure, se pérennise dans la précarité, se construit une identité, se personnifie, contrôle et/ou protège ses membres, fait la guerre à sa voisine, se défend contre les projets de « pacification militarisée » ou des tentatives de gentrification (7) qui la menacent et se transforme néanmoins au fils des décennies et des générations, sans se mélanger complètement aux quartiers qui l'entourent.
Certes, notre frustration est grande. Cet immense pays qu'est le Brésil, grand comme un continent, justifierait plus, bien plus, que deux ou trois mois d'hivernage au chaud. Mais il s'agit là des conséquences de choix auxquels nous tenons, et puis, et puis, après tout, peut-être reviendrons-nous par ici, dans quelques temps, lorsque notre soif de Grand Sud sera apaisée ?
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Cette impossibilité de rentrer dans les favelas nous a renvoyés à notre expérience des quartiers pauvres de Dakar, et à notre long séjour à Djifere, où nous avions, là, de vraies raisons de circuler, et du temps.
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Lesquelles représentent moins d'argent au total que ce que les multinationales tirent comme profit d'autres dispositions légales adoptées par les gouvernements « de gauche ». Autant pour le discours sur la redistribution des richesses !
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Il existe également des favelas situées « en bas ». Elles défendent paraît-il vigoureusement leur territoire contre les tentatives de récupération par des promoteurs immobiliers.
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22% de la population de Rio de Janeiro, 900 Favelas. Il ne s'agit pas d'un phénomène marginal.
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Pratique coopérative qui consiste à accueillir gratuitement un voyageur pour la nuit, sur son canapé.
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On nous a dit que l'aspect extérieur des maisons, presque identiques, presque toutes « brut de construction », sans revêtement ni peinture extérieure, n'est pas le fait d'un manque de moyens investis dans la finition mais une stratégie collective pour égarer ceux qui tentent de se repérer dans ces méandres. Notamment les forces de police.
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Modification progressive de la population d'un quartier pauvre, par arrivée de bourgeois qui, attirés par les charmes du quartier, achètent des maisons à bas prix et investissent pour les rénover, rendant de ce fait le quartier encore plus charmant pour d'autres bourgeois.
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