C'est un de ces problèmes sur lesquels on se casse le nez parfois pendant des semaines, et parfois moins. Les incidents techniques que nous pourrions résoudre en France en dépensant de l'argent mais ici, ce n'est pas la bonne solution. Chercher une ancre neuve adaptée pour Skol à La Paloma c'est pire qu'une aiguille dans une meule. Il faut penser autrement. D'abord se renseigner. Est-ce qu'une ancre qui s'est tordue sous l'effet d'une arrivée sous rafale à trente nœuds ayant abouti à un emboutissage du quai par le nez du bateau, nez au bout duquel pend habituellement l'ancre quand elle n'est pas de service au fond de l'eau, est-ce que l'ancre en question, après avoir subi les outrages combinés du quai et de l'inertie de Skol, car sept tonnes en mouvement même lent, ça ne s'arrête pas sans dissiper un peu d'énergie, est-ce que ladite ancre peut être redressée ? La question est importante et mérite étude méthodique. Je retrousse mes manches et pose soigneusement mes mots pour interroger ma communauté « forumique » préférée. Description du problème, photos à l'appui, une petite mention de l'endroit du monde dans lequel nous sommes, histoire de centrer les réponses et bingo ! Au bout de quelques échanges, un membre du forum notamment, José, qui est aussi un ami de Locmiquelic (1), nous donne des conseils précis sur la manière de procéder.
Il faut donc une forge. Dans un pays de gauchos montés à cheval, ça ne devrait pas poser trop de problèmes. Ah oui ? Mais non ! On apprend un jour que la forge officielle (2) la plus proche est à Rocha, à une heure de car d'ici. Zut, avec l'ancre sous le bras et l'incertitude de la disponibilité du forgeron, on hésite. Mais voilà que notre ami Gustavo aux multiples talents nous dit pouvoir fabriquer une forge de fortune pour chauffer juste la partie de l'ancre qui a besoin d'être redressée. La manière dont il en parle m'inspire confiance, il semble savoir de quoi il parle et est attentif à ce que je lui restitue des conseils de José : atteindre la couleur gorge de pigeon et pas plus avant de taper au marteau et ensuite refroidir lentement, pour garder les propriétés mécaniques de l'acier. Ariel est nerveux, comme à chaque fois qu'on se lance dans un bricolage nouveau, comme à chaque fois qu'on remet notre sécurité future entre les mains de quelqu'un qui ne présente pas toutes les garanties de compétence, ce qui veut dire, hélas !... à chaque fois qu'on doit réparer quelque chose depuis qu'on a acheté ce bateau ! Bon, j'exagère, il nous est arrivé de croiser de bons professionnels. Bref. Ariel n'est pas tranquille mais moi, je le sens bien et j'ai envie d'aller au bout de l'aventure. Il y a des choses à apprendre au passage et si ça ne marche pas, il restera l'escale à Mar Del Plata, en argentine, pour tenter de trouver un ancre neuve. Au pire, on fera un aller-retour à Buenos Aires.
Nous voilà donc quelques jours plus tard chez Gustavo qui a mis en place un dispositif de forge tout à fait astucieux. Après une série de répétitions à froid des gestes à faire lorsque la pièce sera chaude, on met les gants et on y va ! En quelques dizaines de minutes, la couleur désirée est atteinte, on pousse un peu la chauffe pour garantir un temps de forgeage suffisant, et puis voilà, l'ancre se trouve à terre, Gustavo va frapper mais est-ce le bon côté ? On crie un peu, on se met d'accord et en trois coups de marteau, l'ancre reprend sa forme d'origine. Presque. On la repose sur les braises encore chaudes et on laisse le tout descendre lentement en température. Dans le jargon, ça s'appelle un « recuit », je crois, si mes souvenirs d'ingénieure ne me trahissent pas. Ça uniformise les tensions dans l'acier, ça efface les zones de concentration de contrainte, zones qui pourraient provoquer une casse, plus tard.
On ne sera pas tranquille au mouillage pendant les mois à venir, avec cette question lancinante qui ne nous laissera pas en paix : avons-nous fait les choses bien comme il faut ? Mais en fait, on ne serait pas tranquille non plus avec une nouvelle ancre, avec cette question lancinante qui ne nous laisserait pas en paix : est-ce le bon modèle ? Seule l'expérience des nombreux mouillages à venir nous apportera une réponse à ces questions….
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le port d'attache de Skol
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Nous découvrirons plus tard, trop tard, que la forge officieuse la plus proche de nous se trouvait à environs cent mètres de Skol, dans l'atelier même où nous prenons notre douche, ha ! ha !
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