Vera, la petite pousse d'aloe vera dont nous avons hérité d'un bateau de voyage, peu avant de quitter la France, qui a bien grandi depuis et nous rend désormais des services inestimables pour nos coups de soleil, allergies cutanées et autres bobos de peau. De même, Kéfir, le petit grain de kéfir est arrivé à notre bord en provenance d'un autre bateau de voyage, assorti de quelques recommandations sur sa survie et les services qu'il peut rendre. Anja nous avait dit qu'il pouvait transformer du lait en yaourt à boire tous les deux jours, à température ambiante, sans qu'il soit nécessaire de chauffer le lait au préalable. Ce yaourt, disait-elle, est délicieux et bon pour la santé, le transit, les situations inflammatoires et certains soucis féminins. Rien que ça. En fait nous avons découvert encore mieux. Non seulement il est même meilleur pour la santé que cela, mais en plus, moyennant quelques manipulations et beaucoup de patience, il peut produire du fromage !
L'origine du kéfir, de quasiment tous les grains de kéfir qui circulent dans le monde remonte au Caucase et aux peuplades nomades qui conservaient leur lait dans des outres faites d'estomacs d'animaux, dont la paroi intérieure était le lieu de développement de colonies de levures et bactéries en association symbiotique avec des protéines, polysaccharides, minéraux et vitamines. On trouve jusqu'à dix-huit espèces de lactobacilles et jusqu'à 32 espèces de levures dans un même grain, diversité que jamais l'industrie ne saura reproduire et dans laquelle réside en partie la résistance du grain dans le temps et la qualité macrobiotique du produit laitier obtenu. Les nomades ne savaient rien de cette composition chimique étonnamment riche, mais ils en connaissaient les bienfaits et traitaient le grain avec respect, le transmettant de génération en génération et le diffusant à mesure de son développement. Car non seulement cette colonie blanchâtre et gélatineuse transforme le lait, mais en même temps elle assure sa propre reproduction, grandissant et se multipliant au passage (1).
Kéfir nous livre donc tous les deux jours (2) un demi-litre à un litre de « kéfir de lait » infinitésimalement alcoolisé et légèrement pétillant que nous pouvons boire tel quel en dessert, ou bien laisser poursuivre son caillé un jour ou deux. Nous pouvons alors le filtrer pour en tirer d'une part un petit lait translucide rafraichissant et d'autre part un fromage blanc crémeux qui à son tour peut être consommé tel quel (3) ou laissé à égoutter un jour de plus pour entamer le processus de séchage qui conduit aux fromages. Ariel a reconverti les étages du germoir à soja en « fruitière » pour faire mûrir ses petits crottins, du stade fromage frais ail et fines herbes au stade picodon dur comme un bout de bois, légèrement odorant et très fort en gout. Le gout du fromage qui pue des pieds est enfin revenu à bord de Skol après dix-huit mois d'absence ! (4) Et un des stades intermédiaires imite à s'y méprendre le gout et la texture d'un Chèvre frais de bon aloi.
Après le pain, les graines germinées, les conserves stérilisées ou froides, le séchage des poissons et des fruits, l'autonomie à bord progresse d'encore un petit pas. Ça prend du temps, tout ça, mais qu'est-ce que c'est agréable de s'affranchir des industries et de savoir un peu mieux ce que nous mangeons … (5)
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Contrairement aux méthodes de fabrication de yaourt à base d'un yaourt de départ, le Kefir ne s'épuise donc pas quand on s'en sert. Nous sommes maintenant à la tête d'un grain trois fois plus gros que celui qui nous a été offert et pourrons bientôt envisager d'en transmettre à notre tour à des mains motivées.
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Il existe des techniques pour ralentir la production sans dégrader le grain, mais le Kefir est tout de même une petite servitude dans laquelle il ne faut s'engager que doté de solides motivations. Lorsque nous sommes au mouillage et à portée d'un approvisionnement en lait, nous poussons la production jusqu'à un litre tous les deux jours, pour faire du stock de fromages. En mer, nous réduisons la production à un demi-litre que nous consommons comme yaourt sans nous lancer dans la filtration fromagère, étape qui nécessite du calme.
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Froid en dessert ou en préparation salée, ou bien chaud dans une recette de poivrons au paprika dont Ariel détient le secret d'une mère de famille Bosniaque.
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Hormis le fugace camembert apporté par nos amis Sylvie et Alain à la fin de la première année de voyage, grâces leur soit rendue pour cette infraction innocente au règlement douanier argentin. Rappelons au lecteur récent de ce blog que nous avons passé quelques mois en Afrique où le seul « fromage » que nous trouvions était la vache-qui-rit, puis une bonne année en Amérique Latine où les fromages, bien que se revendiquant « typo parmesan », « typo gouda », sont souvent commercialisés beaucoup trop jeunes pour avoir eu le temps de développer du gout. Même les « typo roquefort » et autres « queso azul » qu'ils imitent un peu mieux sont toujours un peu décevant à nos palais français.
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Au vu des étiquetages, les industries agroalimentaires d'ici semblent bien peu scrupuleuses concernant la composition, les additifs et la transparence de l'affichage. Il nous reste encore à trouver des approvisionnements en lait bio pour limiter la concentration en pesticides, antibiotiques et autres hormones car nous avons appris que les élevages laitiers d'ici ne sont plus aussi extensifs qu'autrefois et que l'industrie laitière productiviste et soucieuse de « rentabilité » a commencé à faire usage de ces produits.