Certainement plus d'une semaine, mais probablement pas plus d'un mois ! Avons-nous répondu à la gérante du Yacht Club Reloncavi de Puerto Montt, qui nous demandait combien de temps nous comptions rester « au patio », c'est-à-dire sur le parking à bateaux. Il y avait des inconnues, comme toujours dans le bricolage : qu'est-ce qu'on va découvrir en cours de route qui n'était pas prévu ou qui serait plus grave que ce que nous envisageons ? Mais nous ne comptions pas nous éterniser (1).
Notre motivation à garder cette durée au strict minimum nécessaire n'a pas faibli d'un iota au fil des vingt-quatre jours de notre épisode de vie au sec. Chaque jour nous voyait travaillant du matin au soir, dans, sur ou sous le bateau quand nous n'étions pas partis faire la tournée des ferreterias à la recherche des outils, boulons, graisses et colles nécessaires. Tous les jours, y compris, samedi, dimanche et jours fériés. Seul un motif éminemment impérieux est parvenu à supplanter la dictature des listes, le matin de Noël : lorsque Skol, pourtant posé au sol, s'est mis à trembler violemment et que tous les bateaux s'agitaient eux aussi sur leurs jambes de métal autour de lui, il a bien fallu lâcher les outils, évacuer le chantier, s'arrêter quelques heures, le temps que l'alerte tsunami soit levée et que les inquiétudes s'apaisent.
Skol était si demandeur d'en finir vite avec ces travaux qu'il ne nous a laissé faire aucune rencontre nouvelle, hormis le mécanicien dont nous avons eu besoin pour convaincre une pièce récalcitrante, entre le moteur et l'arbre d'hélice, de bien vouloir lâcher prise. Nous avons également été un peu discourtois avec les membres de la communauté des voileux, en répondant du bout des lèvres à leurs propositions de soirées partagées, tant nous étions épuisés le soir (2).
Pendant que séchait la colle d'une petite réparation du safran, un rapide aller et retour par autocar en Argentine a validé notre cinquième autorisation de 90 jours de présence au Chili, tandis que les douanes Chiliennes prorogeaient l'autorisation de séjour de Skol d'un an de plus. La remise à l'eau, au prix d'une petite précipitation les derniers jours, eu lieu juste à temps pour nous permettre de célébrer le nouvel an dans des conditions plus poétiques que faire la vaisselle dans un seau et utiliser un pot de chambre la nuit.
Mais, bonne nouvelle, outre les prévus et les imprévus de la maintenance et des réparations, quelques améliorations ont été apportées, au point qu'aujourd'hui, Skol est peut-être en meilleur état qu'avant la Patagonie. Un comble ? Non, un sujet de réjouissance. La proximité de la grande ville a aussi été mise à profit pour refaire nos réserves alimentaires, y compris quelques fournées de conserves de viande « maison ». Du coup, les aspects pénibles de la vie à bord suspendue à deux mètres au-dessus du sol, que nous redoutions, n'ont pas trop pesé. Autre bonne nouvelle, les deux skippers de Skol, qui hésitaient sur la suite à donner à cette vie de voyage sont enfin parvenus à ce qui ressemble fort à un accord serein. Le zarpe, plan de route approuvé par l'armée, avec lequel nous naviguons actuellement, déclare que nous serons à Puerto Eden le 1er Avril à 17h. Ha ! Ha !
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Un dicton fameux sur les pontons explique que la grande croisière consiste essentiellement à « bricoler son bateau dans des endroits exotiques ». Ce dicton tente de prévenir les candidats au départ et de dédramatiser les malheurs des autres. Car en réalité, la dictature des listes qui règne pendant les années de préparatifs ne cesse pas son emprise le jour du départ. Au contraire. Non seulement il reste toujours quelques lignes inachevées qu'on emporte avec soi au moment de larguer les amarres, mais en plus, mois après mois, le matériel fortement sollicité demande de l'entretien et des réparations au point que pour certains équipages l'issue de la guerre d'usure est incertaine. Il arrive en effet que le motif de renoncement à cette vie merveilleuse / exaltante / aventureuse, soit, justement, la fatigue du bricolage et de son cortège de soucis, de temps passé et de frais engagés.
Beaucoup de voiliers que nous croisons ont passé plusieurs mois à Buenos Aires pour la préparation au Grand Sud. D'autres ont passé plusieurs mois à Puerto Montt pour préparer la traversée du Pacifique. Il s'agit parfois des mêmes bateaux. Pour notre part, nous avions jusqu'à présent échappé à la longue immobilisation pour cause de travaux en insérant une fraction du travail à chaque fois que possible dans nos escales à caractère convivial, en glissant un carénage entre deux baignades ou deux rencontres festives, en résolvant les problèmes à mesure qu'ils surgissaient, quitte, parfois, à réparer en mer, à bricoler au mouillage. Ça nous a coûté quelques tiraillements mais nous avons toujours préféré faire comme ça. Alors, quand il s'est agi de programmer la mise au sec de Skol pour quelques opérations qui ne pouvaient être effectuées ni à flot ni le temps d'une marée, nous avions envie que ça soir le plus court possible.
- Je me suis même assoupie dans un canapé le soir du « captain's meeting » bien arrosé, convié par le Président du Yacht Club, malgré le son parfaitement audible d'un véritable accordéon français qui sonnait tout proche.
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