Pour avoir toujours professé que la clé de la sécurité, dans ces régions hostiles et immenses, c'était d'avoir le temps (1), nous n'avons toutefois pas totalement échappé, au cours de notre premier voyage au cœur de la Patagonie, au stress des jours qui filent et des milles encore si nombreux à parcourir jusqu'au prochain centre civilisé. Nous en avons gardé un petit goût de pas assez. Sentiment d'avoir quitté trop vite plusieurs sites merveilleux ou d'avoir en quelque sorte « zappé » des possibilités de détour intéressant. Cette fois-ci, nous explorons ce qui se passe, au-delà de la sécurité, quand on pousse un cran plus loin la flexibilité du calendrier et qu'on retourne, de plus, en terrain semi-connu. Par exemple, le Golfe des Peines. Nous l'avons négligé en juin dernier parce qu'il nous semblait si dangereux, préférant traverser au plus vite cette marmite infernale et en sortir avant que les effets conjugués du vent, de la mer déchainée et d'un traitre courant ne nous pousse dans le fond où les abris sont si précaires que le guide nautique principal ne prend même pas la peine de les mentionner, histoire de n'encourager aucun voilier à s'y aventurer. Nous étions si anxieux de nous en éloigner rapidement que j'en ai même oublié de pêcher alors que l'aplomb vertigineux du plateau continental à l'approche du Golfe représente littéralement une obligation de trainer sa ligne, aux yeux du moindre pêcheur. Ariel s'en est longtemps désolé, d'autant plus que, lasse de voir les oiseaux s'amuser avec mes leurres au risque de leur vie et contrariée par les algues géantes des canaux qui se prennent dans les hameçons et peuvent les arracher, je ne touchais plus à mon matériel depuis de nombreux mois.
Mais les circonvolutions complexes (2) de la péninsule de Taitao, qui forment la rive nord du golfe mal famé, recèlent de nombreuses sources chaudes totalement sauvages, dont certaines, avions-nous lu quelque part, sont assez proches du rivage pour qu'on puisse y accéder en annexe puis à pied. Il y avait là une tentation puissante pour nous deux. Nous nous imaginions batifolant en tenue d'Adam et Eve, dans une baignoire naturelle taillée dans la roche, à l'abri des arbres et en regardant passer les baleines, puisque ces eaux regorgent de krill. Voilà les petits trésors que nous allions chiner lorsque nous avons quitté une nouvelle fois les routes maritimes répertoriées pour aller passer quelques jours dans les recoins de Taitao. Mais avant même qu'on y parvienne, le cosmos nous régalait déjà. Remotivée récemment par la jubilation de Sergio et décidée à ne pas franchir deux fois ce fameux bord de plateau continental sans tenter ma chance, j'avais enfin ressorti mes apparaux de pêche et l'activité qui en a découlé avait de quoi nous réjouir. En remontant mes prises, je songeais avec un sourire que même si un jour je devenais végétarienne, il resterait cette exception. Je continuerai à manger le poisson pêché de mes mains, s'il m'est donné de pouvoir encore pêcher dans des eaux saines. Cet acte me relie lui aussi à la nature - comme le fait d'utiliser le vent pour nous propulser et les abris naturels de la côte pour nous protéger - et j'assume pleinement la prédation raisonnable à laquelle je me livre ainsi (3). Ariel jonglait avec les bocaux à conserves et les épices du prochain festin pendant que je vidais les poissons de ce geste précis qui permet de les éviscérer proprement et j'en avais à peine terminé avec les trois premières sierras d'un kilo chacune que la quatrième mordait à son tour, deux kilos de plus. Chaque bocal de filets de poisson prolongera le sursis du jambon qui mature toujours, suspendu dans la coursive. Mais point trop n'en faut, il est temps de ranger pour manœuvrer car le vent forcit en virant au nord et s'opposera à une arrivée avant la nuit si nous n'y prenons garde. Les rives torturées dont nous nous approchons ont un air de préhistoire, et les échappées de vapeur chaude qui s'élèvent vers le plafond bas des nuages donnent au paysage un air de troupeau de dragons endormis qui pourraient s'éveiller d'un moment à l'autre. L'idée de devoir passer la nuit à la cape dans ces parages ne nous dirait rien qui vaille.
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Lorsqu'on dispose de quelques semaines de marge, on peut éviter de sortir des abris quand les conditions sont douteuses ou de naviguer quand l'équipage n'a pas la forme. On peut aussi faire demi-tour et retourner à l'abri précédent, ce qui évite parfois bien des heures de bagarre. Mais il y a une marge entre connaitre une vérité et la ressentir au plus profond.
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Une grande péninsule qui se termine par une moyenne péninsule, qui se termine par une autre péninsule, et ainsi de suite comme les poupées russes.
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Outre le saumon d'élevage dont nous avons déjà parlé, je me pose des questions à propos du thon en boite industriel dont les conditions de pêche sont effroyables d'un point de vue écologique, faisant des dégâts considérables sur d'autres espèces, dont les dauphins, parfois utilisés comme pilotes de pêche puis massacrés dans la récolte de masse. Mais nous ne pêchons pas nous-mêmes suffisamment pour répondre à notre consommation, d'où ma réflexion sur le végétarisme.
Wahoo ! Suis-je en train de m'écrier en vous lisant et en recherchant par image le nom de ces poissons: Wikipédia me dit que c'est un Le thazard noir, Acanthocybium solandri, un poisson aussi connu sous les noms de Thazard raité, Thazard-bâtard ou bien encore Thon banane. Dans les pays anglophones, il est connu sous le nom de Wahoo.
Rédigé par : Michel Fromm | 23 mars 2017 à 14:18
@ Mitch : Wahoo ! Es-tu certain de ton identification ? Nous avons d'abord cru que c'était du Thazard, en effet, et puis on a douté. La chair est délicieuse, très ferme comme celle du thon mais blanche et il y a plein de fines arrêtes très longues au cœur du muscle. Ici, en tout cas, ça s'appelle sierra et c'est très apprécié.
Rédigé par : isa & ariel | 24 mars 2017 à 00:42
Hello, j'avais fait une recherche rapide. Ceci dit, le Thazard Sierra (en recherchant Sierra fish on trouve que c'est un Thazard aussi) est tacheté, alors que ceux qui sont sur votre photo ne le sont pas. Le Thazard noir (Wahoo) est plutôt légèrement rayé, de haut en bas (et réciproquement)... Ceci dit, les deux peuvent atteindre des tailles très très raisonnables. Et oui, je suis toujours heureux de voir que vous trouvez des endroits pêchants !
Rédigé par : Michel Fromm | 24 mars 2017 à 07:45
Pour finir j'ai compris: WAHOO / PEZ SIERRA est le même poisson. A titre d'info pour Ariel, il semblerait qu'il y ait de gros crabes aussi dans ces parages-là !
Rédigé par : Michel Fromm | 24 mars 2017 à 07:56
@ Mitch : Attend un peu, on n'a pas encore abordé le sujet des crabes d'ici mais ça vient...
Rédigé par : isa & ariel | 24 mars 2017 à 20:07