Les Shadocks sont les personnages crées par Jean Rouxel pour une petite animation rigolote chargée de sous-entendus politiques, diffusée à la télévision française dans les années 60 – 70 et 2000. Les Shadocks, héros stupides, menaient une vie compliquée sur une planète bizarre et recourraient à des formes variées autant qu'inefficaces de pompage pour tenter de résoudre leurs problèmes. « Et les Shadocks pompaient, pompaient » est une rengaine que nous avons exhumée de nos enfances respectives. Cette note mériterait peut-être une version sonore avec la curieuse voix de Claude Piéplu.
Grâce à une intéressante combinaison de facteurs architecturaux (le fond du bateau est plat) et d'utilisation de l'espace (nous y stockons des produits de première nécessité) l'équipage de Skol est tenu informé de l'état hygrométrique des fonds avec une diligence sans merci. Le moindre décalitre embarqué se signale à notre attention par une luisance suspecte dès qu'on soulève le plancher tribord - tous les deux jours - pour accéder à la cocote à pain ou le plancher bâbord - tous les #censuré# - pour accéder aux alcools. Il a fallu pomper pas mal ces derniers mois.
Par ordre d'apparition des fuites et infiltrations, appelons à la barre les mutins des ces derniers mois : 1°) le presse-étoupe (fuyard compulsif), 2°) la pompe à pied de la cuisine (doyenne des pompes), 3°) la pompe de refroidissement du moteur (multiples tentatives), 4°) la vanne d'évacuation des WC (vraiment une em###deuse), 5°) la pompe d'évacuation des WC (rupture d'anévrisme) et 6°) le passe-coque du sondeur (révolte larvée). Chacun de ces acteurs contrôle un passage entre l'intérieur et l'extérieur du bateau, sous le niveau de la mer, en faisant entrer ou sortir de l'eau ou d'autres matières selon des besoins bien spécifiés. Remercions au passage les quatre pompes et cinq vannes qui n'ont pas plaisanté avec leur mission et que nous encourageons vivement à continuer dans cette voie plutôt que suivre l'exemple de leurs collègues indisciplinés.
Le presse-étoupe est normalement chargé de garder la mer en dehors du bateau malgré le fait que l'arbre d'hélice, lui, doit passer de l'intérieur à l'extérieur. Il bénéficie d'une tolérance que quelques gouttes par minute mais pas plus. Depuis le chantier de Puerto Montt, il y a dix-huit mois (1), il ne fait pas très bien son travail. Son débit monte facilement à quelques gouttes par seconde et si on ne prend pas garde de resserrer après chaque arrêt moteur, ça dégouline pendant notre sommeil.
Cependant, il vint un stade où, même en tenant compte de la condensation, et même avec des neurones abrutis par la routine, le volume d'eau retiré des fonds quotidiennement parut suspect. Lorsque nous avons cessé d'accuser le pauvre presse-étoupe de tous les maux, l'investigation a fini par nous conduire jusqu'à une petite mare suintante au niveau des pompes à pied de la cuisine, révélant qu'à chaque fois qu'on faisait la vaisselle à l'eau de mer, le produit de notre effort de pompage se répartissait équitablement entre l'évier et le fond de cale ! Par le plus grand des hasards nous avions à bord un kit de joints de rechange complet. La corvée de vidage des fonds s’allégeât pour un temps.
C'est ensuite la pompe à eau de refroidissement du moteur qui s'est mise à fuir. Sa mission consiste à alimenter Yann en eau de mer fraiche pour que ses petits cylindres ne surchauffent pas. Celle-là est une diva à bord de Skol, réclamant sans cesse des attentions, jamais contente. Elle avait régulièrement tendance à se boucher, à cause d'un petit poisson perdu, d'un déchet flottant ou d'une méduse aspirée. Elle avait parfois du mal à assurer le débit nécessaire. Elle avait déjà déversé de l'eau en abondance dans la baille moteur en fuyant par son joint à bout de souffle. Elle a usé quelques rotors en tout bien tout honneur, je crois qu'elle nous a fait toutes les maladies possibles ! A chaque fois on se dit que c'est bon qu'on en a fini avec les problèmes, qu'on l'a pratiquement reconstruite à neuf à force de remplacer des pièces (2), mais non. Cette fois-ci c'était l'axe qui s'était rayé subitement. Un grain de sable, pas plus … qui nous a donné du soucis mais aussi, il faut le reconnaitre, un excellent prétexte pour obtenir une place bien abritée à Puerto Deseado.
Les aventures à rebondissement de la réparation de cette pompe-là nous ont permis de rencontrer une petite famille bien sympathique avec laquelle nous avons partagé du bon temps pendant que n'en finissait pas de venir de Buenos Aires un paquet de bêtes joints à trois euros. Le premier paquet expédié par le spécialiste du joint n'était pas du bon diamètre et le second a été ralenti en chemin par les festivités pascales et un blocage des routes dû à des camionneurs en colère contre le prix du gasoil.
C'est à trois reprises que nous avons dit au-revoir à Andrea, Griselda et leurs enfants.
Notre premier départ de Puerto Deseado a été reporté pour cause de WC bouchés le matin même du départ. Le système d'évacuation des WC est une sempiternelle source de désagrément à bord des voiliers, au point que nombreux sont les marins qui y renoncent et optent pour le seau. Mais pas nous, qui persistons à vouloir évacuer le produit de notre digestion au moyen d'une pompe manuelle dont c'est la fonction. Lorsque ça coince, généralement, il suffit de fermer la vanne et d'ouvrir le système, démonter les tuyaux, je vous passe les détails. C'est salissant et odorant mais faisable. Seulement là, cette fois ci, le « bouchon » était situé au niveau même de la vanne qui donc refusait de se fermer. Tant que la vanne est ouverte, on ne peut rien démonter, rien déboucher. Une lutte acharnée s'est déroulée en espace restreint et par visibilité réduite, sous le regard goguenard d'une bande de marins et mécaniciens appelés à la rescousse pour prêter un bout de tuyau, un furet, un compresseur. A la fin le bouchons a bien voulu bouger un peu et la vanne a bien accepté de se fermer, mais y il en avait jusqu'au plafond !
Un problème en entrainant un autre,'une petite fissure ancienne dans le corps de pompe en a profité pour se propager, laissant une légère fuite à chaque mouvement du piston. Le liquide ainsi vaporisé sous pression dans notre intérieur consistait alternativement en eau saine ou contaminée selon le stade des opérations. Nous n'avions guère envie de reprendre la mer dans ces conditions et avons profité de ces prolongations pour retourner voir nos amis. Il nous restait à échanger quelques recettes irlandaises et grecques.
Le second départ a tourné court quand le moteur s'est mis en alarme, encore une fois, pour défaut de refroidissement moteur (encore la diva). Le troisième départ a failli avorter lui aussi, toujours pour une mise en alarme du moteur, mais cette fois-ci nous avons décidé de continuer à la voile: Marre de la dictature des pompes !
Pour conclure le chapitre des entrées d'eau indésirables et autres entrées d'eau désirables-zé-dysfonctionnelles, il me reste à évoquer celle qui n'en est qu'au stade potentiel-futur, mais que je surveille comme du lait sur le feu. Un bout d'aluminium non-marin (3) soudé en 2011 au fond de la coque se boursouffle et part en mille-feuilles sur son pourtour. Pour tenter de suivre l'avancée du processus, je me penche tous les six mois sur la question avec ma petite balayette, pour récolter la poudre d'aluminium tombée et la peser délicatement (4), avec un pied à coulisse pour mesurer ce qu'il reste d'épaisseur en place. Jusque-là, ça va !
Il pourrait paraitre aux yeux du lecteur sensible que nous sommes victimes d'une espèce de malédiction et que le sort s'acharne sur nous, mais la lecture attentive de quelques autres blogs de navigateurs au long cours aura vite fait de corriger cette impression dommageable à notre réputation. Jusqu'à présent, seuls nos nerfs et notre temps ont été fortement sollicités. D'autres voient leur voyage plombé par six mois de réparations ou l'inextricable importation de pièces de rechange introuvables localement et certains voient leur budget voyage drainé par le coût de pièces, de main d'œuvre et autres frais de port, voire d'hébergement à terre. Nous ne vivons rien de tel, pour l'instant.
Ainsi s'achève notre courte série "les Shadocks". Nous espérons bien à l'avenir ne plus vous exposer à nos envahissants problèmes techniques !
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Je me perds parfois en conjectures sur ce qui, dans ce chantier ou ses antécédents, a bien pu créer ce problème chronique. Moteur désaligné, raideur inadéquate du nouveau dispositif, usure de l'arbre au niveau où frotte l'étoupe, ou bien tout bêtement un cordons d'étoupe suiffée de mauvaise qualité, voire une simple anomalie dans la pose de l'étoupe elle-même, opération effectuée par un mécanicien chilien adepte de l'art du travail bien fait.
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J'entends d'ici nos lecteurs avisés nous reprocher de ne pas avoir à bord, carrément, une pompe de refroidissement moteur de secours, entière et entièrement révisée prête à servir en cas de défaillance de l'autre, et qu'on réviserait à la prochaine escale. Une doublure pour la diva, en somme. Eh bien je le dis franchement, ils ont raison ! Si c'était à refaire, je partirai de France avec une pompe de rechange dans la soute technique.
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Intervention d'un mécanicien français, adepte certainement, lui aussi, du travail bien fait. En principe il s'agissait de retirer la fragilité d'un passe-coque en plastique à cet endroit-là avant d'aller tailler notre route dans les glaces. Les propriétés de l'aluminium ordinaire en milieu humide et salin sont telles que le bout de métal non conforme s'auto-consomme lentement.
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A l'aide d'un pèse-courrier, qui, d'habitude, sert à tout autre chose….