Les pêcheurs de La Paloma sont en pleine saison pour une espèce de poisson qu'ils appellent anchoa, à la chair assez grasse et légèrement indigeste, bien distincte de l'anchois européen. Leur activité intense se traduit par quelques nuits difficiles pour mon homme bien entendant, qui souffre de leurs appels d'un bout à l'autre du quai, de leurs rires tonitruants et de leur musique réglée au maximum. On leur parle, ils se calment un quart d'heure et puis ça repart. Ariel aimerait leur expliquer que c'est comme si nous-mêmes allions faire du raffut dans leur jardin pendant qu'ils dorment, mais allez faire comprendre à une bande de travailleurs de la nuit, sans doute dopés à la poudre magique, que nous aimerions un peu de retenue entre minuit et six heures du matin, sur leur propre lieu de travail ? Peut-être faisons-nous les frais de la petit guerre qui larve entre les pêcheurs et les autorités portuaires, à propos des quais de déchargement…. Rien ne se dit clairement, ou bien ces subtilités échappent à notre compréhension pourtant affinée de la langue, c'est notre lot de nomades, jamais totalement au parfum. Cela étant, le jour où Ariel, un peu plus qu'un peu éméché, est tombé dans le port en tentant d'embarquer sur Skol à trois heures du matin, j'ai été bien soulagée qu'il y ait du monde pour répondre à mes cris et l'aider à sortir de l'eau froide.
Il y a encore un autre raison de se réjouir, car cette activité intense sur le quai se poursuivra à l'atelier de conditionnement le lendemain. La chair des poissons sera séparée des tripes, têtes et arrêtes, lesquels seront acheminés vers une déchetterie un peu spéciale où ils seront transformés en matière première agricole par un assemblage de pratiques futées. Le transport vers l'atelier de compostage est financé par les pêcheurs au nom de leurs obligations d'évacuation de leurs déchets. Les résidus de poisson seront décomposés avec l'aide de microorganismes efficaces natifs (1), étonnants accélérateurs de décomposition qui, entre autres qualités, ne génèrent aucune mauvaise odeur. Ensuite, ils seront mélangés aux déchets de la scierie locale, elle aussi contrainte de financer l'évacuation de ses sciures. Enfin, le compost sera emballé en sacs, pur ou mélangé à un peu de terre à des dosages différents de concentration et vendu. En quelques semaines, le tout se retrouvera dans les jardins et fermes horticoles de la région, comme engrais bio. Les déchets de la mer qui finissent dans la terre, voilà qui change des habitudes humaines!
C'est un petit groupe de jeunes agronomes, dont notre ami Alejandro, qui a fait l'étude de ce circuit de recyclage intelligents des déchets et a obtenu une petite aide de la collectivité territoriale pour financer le démarrage de l'atelier. Ariel est allé manier le mélangeur et le tamis et il a participé à quelques livraisons dans la région, aux côtés d'Alejandro, ce qui leur a donné du temps de route pour parler musique et politique. Nous-mêmes charrions toutes les semaines l'engrais de mer et le bokashi de pescado a plein seaux pour enrichir la terre entre désherbage - manuel évidemment – et plantation. Les plantules horticoles ainsi dopées croitront plus vite et seront plus productives qu'avec les engrais chimiques les meilleurs du marché, affirment les pratiquants. Notre brave Véra (nom de famille Aloe), la seule plante vivante à bord de Skol, a reçu sa dose de super-engrais avant le grand voyage du retour vers l'Europe.
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Culture de bactéries locales selon un procédé d'origine japonaise qui sert à produire entre autres le « bokashi », super-engrais organique. Nous apprenons des choses passionnantes ! Le bokashi est connu depuis plusieurs années en Uruguay mais il était sous le contrôle d'une entreprise, qui vendait la culture-mère comme un produit soi-disant difficile à obtenir. Or, il suffit d'un tour en forêt pour prélever l'humus gorgé des microorganismes natifs primaires qui seront mis en culture anaérobie avec quelques ingrédients faciles à obtenir localement.
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...vous allez nous faire regretter le glyphosate et nous pousser à nous doper à "la poudre blanche"
Gros bisous tendres
Rédigé par : Anja et Georges | 17 octobre 2018 à 21:16