Nous sommes à Itaparica la grande ile en face de Salvador. Mouillage moins bruyant et mieux ventilé que nous avons (re)découvert (1) pendant les quelques jours de marge qui nous restaient avant l’arrivée de la famille. A la première visite, nous avons fait la connaissance de Jucy, couturière bien équipée et voilière semi-pro. A cette seconde visite, nous attaquons le travail.
Photo de Pierre Verger, enthnophotographe de grand talent, bahianais d'adoption.
Passé dix heures du matin, le soleil tape sur le volet roulant et l’atelier devient une vraie fournaise. Pourtant, Juci garde le sourire. Elle aime la chaleur et elle aime ce qu’elle fait dans ce minuscule espace de travail aux trois quarts mangé par deux grandes tables destinées à permette l’étalement et la manipulation des tissus parfois immenses qu’elle doit coudre.
Nous posons ensemble quelques mètres carrés de cette merveilleuse toile autocollante de réparation de voiles dont ma sœur a rapporté un généreux rouleau en bagage à main. Puis Juci complète le collage par des coutures et un renfort le long du bord extérieur de la voile, tels que nous les avons imaginés dans une sorte de troc (2) : il faut renforcer jusque là – oui mais bien étager les surépaisseurs – et coudre en diagonales - bonne idée. Car le risque, quand on répare une voile fatiguée par les battements dans les vents furieux, c’est de créer de nouveaux points de fragilité du style « découpez selon les pointillés », juste à l’endroit de la couture supposée renforcer. Nous traitons ainsi bien plus que les quatre mètres déchirés, en testant et examinant de près toute la longueur. Il y avait d’autres zones affaiblies, bien entendu.
Alea jacta est.
Revenue le lendemain pour finir moi-même les détails à la main, je découvre sur le bord opposé de la voile quelques points d’usure anormaux que nous n’avions pas vus. Avant d’intervenir sur ceux-là, je prends quelques photos pour consulter le fabricant de la voile et mon forum préféré. L’étendue des réponses, allant de « ne rien faire » à « réparation urgente totale » me laisse indécise. Les explications sur l’origine de ces usures ne me satisfont pas. Zut, nous laisseront la vieille voile en service jusqu’à ce que j’en aie le cœur plus net.
Ce n’est que beaucoup plus tard, en discutant avec un maitre voilier plus expérimenté que Juci, et surtout ayant beaucoup plus navigué qu’elle, que j’aurai le fin mot de l’histoire. Ces usures sont liées aux vibrations que subit le bord le long du mat lors des réductions de voilure et dieux sait que nous avons effectué ces manœuvre un nombre incalculable de fois. Donc, usure normale ? Et bien non. Il m’a été conté que Bernard Moitessier, ce grand héro de la voile française, exigeait que son voilier mette des renforts à ces endroits-là en prévision de cette usure-là. Alors j’ai une grosse colère de plus contre la voilerie qui a fait notre voile, en nous racontant qu’ils savaient très bien ce qu’il fallait pour la Patagonie. Non seulement le grammage de tissus est insuffisant et la chute trop arrondie, mais en plus il manque des renforts a des endroits stratégiques ! Scrogneugneu !
Quel paradoxe que d’avoir accumulé tant de savoirs au cours du voyage, qui nous auraient été utiles dès le début. Et maintenant que j’aspire à la sédentarité, tout ça sera perdu ? J’espère que non.
- Dans mes souvenirs d'adolescente, Itaparica était l'endroit où tous les voiliers allaient pour faire le plein à la source "Fonte da Bica", de qualité exceptionnelle. Elle coule encore aujourd'hui!
- Grace à, de mon coté, un salmigondi de portugnol. Je ne suis pas encore lusophone, loin de là.