Nous avions imaginé la Norvège en puisant dans nos informations plus ou moins à jour, dans les échos de l'actualité et dans quelques préjugés fondés sur la topographie ou notre lecture de l'histoire. Ca donnait quelque chose comme ça.
Ariel : Un pays minéral et magnifique. Un peuple distant et qui a refusé l’Europe deux fois. Un peuple arrogant et égoïste, peut-être ? Pas partageur, puisqu’ils n’ont pas voulu rejoindre le projet européen auquel ils appartenaient naturellement par le seul fait géographique. Un peuple plutôt à droite, voire d’extrême droite. Pas beaucoup d'étrangers, chez eux. Une bande de fêtards du samedi soir, dont on m’a dit qu’ils savent se laisser aller à l’orgie alcoolique.
Isabelle : Un pays beau et froid, les habitants sont-ils froids aussi ? Les récits de voyageurs et mes souvenirs de jeunesse n’évoquent pas la « chaleur » des rencontres. Un pays peu peuplé, dans lequel on pourrait se sentir perdu. Un pays riche et sage, me semble-t’il : le seul pays à qui le pétrole abondant n’a pas tourné la tête. J’ai entendu un jour qu’ils ont constitué un fonds de réserve pour l’avenir, avec l’argent du pétrole. Le seul pays qui partage réellement le fruit du pétrole avec la génération en cours ET avec les générations futures, par un choix démocratiquement discuté ?
Pendant nos préparatifs, quelques données factuelles nous ont frappées: moins de 7 millions d’habitants pour un pays grand comme la France (mais quasi exclusivement fait de montagnes). Premier pays au monde par le PIB par habitant. Premier pays au monde par l’indice de développement (revenus, éducation, santé). Une production cinématographique de 20 films par an (contre 20 par mois en France). Une Eglise d’Etat Luthérienne à laquelle appartiennent 80% des norvégiens (même si seuls 10% pratiquent). A propos des motifs du refus d’entrer dans l’Europe, une enquête rapide conduite avant le départ donnait : les femmes ont eu peur de perdre la vraie égalité dont elles jouissent, les paysans ont redouté que l’état ne soit pas autorisé par Bruxelles à les subventionner autant.
Alors… c'était comment ? Beaucoup de réponses ont été apportées au fil de l'eau dans les notes publiées dans ce blog pendant le voyage, mais il reste quelques grandes conclusions, qui se dégagent plusieurs semaines après le retour.
1°) Avons nous trouvé la nature minérale et magnifique ? Oui, dix mille fois oui. Entrer dans la montagne à la voile, être chaque jour en train de lever la tête pour prendre la mesure du paysage, se sentir tout petit, aussi. Les côtes françaises le long de la manche au retour, pour belles qu'elles soient, nous ont semblés bien plates et l'arrivée à Lorient nous a presque fait déprimer. On y retournera rien que pour ça. Et pour l'isolement possible, les mouillages solitaires ou partagés avec seulement un autre bateau, les petits ports dans lesquels un unique ponton accueille un ou deux voiliers et quelques petits bateaux à moteur.
2°) Avons nous trouvé les gens distants ou froids ? Oui et non. Le pays est une très belle destination touristique, par la terre autant que par mer, mais le fait qu'ils n'aient aucun besoin d'une manne touristique pour assurer leur prospérité leur donne le luxe de rester un peu à distance de tout ça, de ne pas trop s'intéresser aux besoins spécifiques des étrangers lorsqu’ils sont différents de ceux des vacanciers norvégiens. D'un autre coté, nos questions ne sont pas souvent restées sans réponses, jusqu’à cette jeune femme que nous avons questionnée, après huit jours sans commodités sanitaires, dans l’espoir qu’elle ait une douche dans sa boutique de kayak. Désolée de ne pas pouvoir nous offrir la douche espérée, elle nous a poursuivi dans le village un peu plus tard après avoir réfléchi, téléphoné à une amie et organisé pour nous l’accès à une salle de bains, dans un gîte pour randonneurs. Et, au-delà de la serviabilité, comme partout dans le monde, quand le taux d’alcoolémie monte, les barrières tombent. Nous avons cotoyé le temps d’une fête traditionnelle de la mer quelque équipages de potes autorisés à se retrouver sans leurs épouses une fois par an depuis des années, pour partager dans une grande complicité des excès d’alcool et de musique comme seules les longues nuits rendent possibles. Le hasard nous ayant mis à couple de leur petite flottille à moteur ils nous ont conviés à leurs « Jam sessions » et confidences et ont montré un véritable intérêt pour notre aventure à la voile.
3°) Y retournerons-nous ? Oui, un jour. Nous savions qu'il nous faudrait franchir la mer du Nord, de sinistre réputation, et que la navigation dans le grand nord requérrait plus d'usage du moteur de nous n'en avons l'habitude ou le goût, mais ces inconvénients nous semblent justifiés. Il reste des milliers d’îles, mouillages, fjords, à découvrir. Un second voyage dans cette direction sera planifié plus tôt en saison, pour jouir d’une meilleure météo et du soleil de minuit. Il sera organisé sur une durée totale de plus de trois mois, pour nous permettre des escales prolongées indispensables aux rencontres. Nous tenterons peut-être d’aller un peu plus au Nord, mais sûrement pas jusqu’au Spitzberg, car le prix à payer en heures de moteur nous semble trop élevé.