Pour la seconde fois dans ma vie, à plus de quatre années d’intervalle, mes dents se retrouvent le lieu de convergence d’une étrange prise de conscience. Certes, elles n’ont pas quitté mes préoccupations, au fil de ces années, mais elles étaient revenues à la place ordinaire d’une fonction corporelle dégradée qui a juste besoin d’une maintenance régulière. J’ai finalement eu recours, en 2017, au Chili, aux soins de curage auxquels j’espérais échapper et il a même fallu poser une espèce de pontage à l’arrière de mes incisives inférieures, pour en immobiliser les trois qui bougeaient encore après un long traitement doux. En 2018, en Argentine, l’une des dents arrimée aux autres a été tronçonnée et sa racine retirée pour prévenir une infection grave de la mâchoire, qui aurait pu survenir en mer. En 2019, au Brésil, d’autres soins ont été nécessaires avant la grande navigation transatlantique qui, sinon, menaçait d’être douloureuse. En 2020, malgré un check-up pourtant rassurant, la dent dont la racine avait été supprimée à l’aide d’un outil vibrant a commencé à branler autour de son amarre et le petit mouvement disgracieux de ma bouche fermée, provoqué par la langue agacée et amusée de titiller les aspérités à l’intérieur, s’est encore aggravé. Je me vois vieillir jusque dans ce petit détail de la face, qu’autrefois je ne décodais chez les autres que comme un tic nerveux. En 2021, la dent a fini par lâcher, au terme d’un processus de procrastination circonstancielle et située qui est l’objet de ma réflexion du jour.
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