Le Mandala de Brangoulo n’est pas un espace dédié aux rituels bouddhistes, mais « juste » un motif agricole et aquatique dédié à la biodiversité et aux expérimentations. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas y faire, de temps en temps, une expérience mystique. Je vois souvent Mailys en contemplation méditative, immobile sur le banc qui surplombe la zone et je sais que d’autres membres du petit groupe de bénévoles qui m’accompagnent dans ce projet ressentent régulièrement la fameuse hypnose du désherbage, favorable à la connexion avec le grand tout, ou le petit rien. La joie du contact avec la terre fait évidemment partie de l’aventure. Mais il y a des intentions prosaïques, aussi.
Cet espace circulaire est occupé en son centre par une mare de 10m de diamètre et entouré d’un cercle de 50m de diamètre sur lequel alternent jeunes arbres et petites buttes. Entre la mare et le cercle extérieur, un labyrinthe d’allées et de parcelles courbes, dans lequel il est parfois un peu compliqué pour les visiteuses et visiteurs de se repérer. La lisibilité de ce qui s’y passe est meilleure après une bonne tonte des allées (merci Corinne) et progresse à mesure que la signalétique se met en place (merci Mailys).
A ce jour, plus des deux tiers de la surface sont encore sous la domination du rumex, une plante à forte racine pivot, qui pousse spontanément dans les sols assez endommagés, notamment trop compacts. Paradoxalement, le travail du sol effectué en avril 2022 sur la petite couronne n’a pas amélioré la situation, au contraire, on a fait un hachis de racines ! Or le rumex en raison de sa mission de décompactage, dispose de la capacité de se reproduire par division de racine. Nous avons donc autant de rumex dans la couronne labourée que dans la couronne qui n’a reçu aucune intervention. Une des premières dimensions de ce projet Mandala est donc d’expérimenter la coopération/cohabitation avec le rumex, en le laissant en partie faire son travail et en tentant tout de même de conduire des cultures. C’est une mission d’utilité publique car les sols endommagés sont légion et si nous arrivons en quelques années à tirer des conclusions, elles pourraient se traduire en recommandations aux jardiniers et maraîchers confrontés à la situation. Donc ici, dans le Mandala, qui n’a pas d’impératif de production « rentable », on traite le rumex non pas comme un ennemi mais comme un cohabitant incontournable et fondamentalement amical, qui devrait logiquement céder la place dès lors que nous aurons montré notre capacité à prendre soin de la vie et de la structure du sol, ou trouvé comment lui parler pour qu’il nous laisse faire le job.
En effet, les techniques de restaurations des sols passent par la cultures de mélanges de céréales et légumineuses sans intention de récolte pour les humains. Ces mélanges céréaliers d’été (sorgho, millet, sarrasin, vesce, pois) ou d’hiver (seigle, avoine, féverole, vesce, pois) savent faire le travail que fait le rumex, mais pas en présence de rumex, dont les grandes feuilles poussent si vite qu’elles occultent la lumière. Sans lumière, nos semis bénéfiques ne se développent pas, ou pas bien. Il s’agit donc soit de trouver un argument pour convaincre le rumex de nous laisser réussir une première saison de mélange, après quoi il verrait bien que sa présence n’est plus si nécessaire, soit de coloniser petit à petit l’espace qu’il occupe, en jouant sur des lisières et les interstices. Ces deux techniques sont expérimentées actuellement, ainsi que d’autres, y compris l’abstinence totale d’intervention, des fois que le rumex réparerait le sol plus vite que l’humain le mieux intentionné.
C’est aussi une expérience existentielle, ce face à face avec le « sol qui se défend ». Je tente d’aborder la difficulté autrement que dans une logique de domination, même quand les impatiences et la frustration me prennent. Passionnant, quand j’accepte l’idée qu’il faudra plusieurs années avant d’avoir le fin mot de l’histoire.
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