C'est la première fois que nous faisons tailler une voile neuve pour Skol. C'est même ma première voile neuve depuis les régates de mon enfance. Ariel, lui non plus, n'a jamais expérimenté l'effet "voile neuve". Le besoin se fait sentir depuis le printemps dernier, lorsque nous avons vécu notre première déchirure sérieuse, réparée à la main. Laquelle a été suivie, quelques coups de vent frais plus tard, d'autres déchirures, de part et d'autre de la réparation précédente. Les soins à la grand-voile ont un peu émaillé notre retour de norvège (Stavanger, Boulogne, Cherbourg). Le premier voilier auprès duquel nous sommes allés quérir conseil et tissus nous l'avait dit : ce type de déchirure, c'est la signature de la vétusté de la voile, il va falloir songer à la remplacer.
L'observateur attentif de la photo ci-dessous a déjà remarqué que cette nouvelle grand-voile est équipée de 4 ris (4 étapes de réduction de voilure) au lieu des 3 ris habituellement adoptés pour les voiliers hauturiers. Il y avait deux autres possibilités pour notre besoin de réduction importante de la voilure pour le très gros temps : avoir à bord une seconde grand-voile, taillée différemment, qui aurait pu être dédiée aux navigations hivernales, et avoir à bord une voile de cape, de quelques mètres carrés seulement, à mettre en place une fois le gros temps engagé. Ce choix a fait l'objet d'une longue cogitation/recherche et de nombreuses discussions, et ne sera vraiment validé qu'après notre prochaine grosse tempête.
Le choix du voilier (fabricant de voiles) a également été l'objet d'une longue cogitation, de devis, lectures de forums et discussions téléphoniques avec les professionnels. Dans ces discussions, d'ailleurs, figurait la question du choix de réduction de voilure pour le gros temps et la qualité de l'échange sur ce point avec les professionnels a été déterminante pour le choix final du voilier. Dans nos devis, nous n'avons que très brièvement évoqué les solutions dites "chinoise" ou "polonaise", car, pour les navigations que nous aimons, l'enjeu sécurité d'une grand-voile est important; nous voulions avoir en face de nous un professionnel conscient de cela et prêt à assumer. Une fois la commande passée, nous avons pris nous-mêmes les mesures, et nous avons demandé à vérifier / valider le placement prévu des lattes et des ris.
La voile est arrivée à Lorient un peu avant nous, en avril. Une voile neuve ... que du plaisir ! Le tissus qui craque et nous fait mesurer combien celui de l'ancienne s'était adouci et assoupli avec les années et l'usure, la facilité de mise en place, qui confirme que les mesures prises en décembre étaient bonne, la blancheur irréprochable et la perfection de sa forme... ah, non, pas tout à fait. La forme nous fait froncer les sourcils dès la première navigation, par petit temps, et nous en déduisons rapidement qu'une voile neuve, c'est plus d'exigence aux réglages. On travaille un peu la tension le long du mat et le long de la bôme, pour tenter de lui faire adopter la forme en aile d'avion idéale, mais, hum, pas tout à fait satisfaisant. Nous avons des invités à bord, pour ces premiers jours de navigation, il n'est pas temps de creuser la question et de passer des heures à discuter "chiffon" (oh, pardon, "dacron").
Le troisième jour de cette navigation de printemps se fait par temps musclé, et là, plus de doute possible : il y a un problème avec la forme de la voile. Qu'elle soit haute, au premier ris, au second ris ou au troisième, elle reste molle du coté libre, celui qui n'est pas en prise dans le rail de la bôme ni dans celui du mat, ce qui n'est pas un comportement normal pour une grand-voile. Normalement les lattes sont faite pour ça, pour maintenir une rigidité suffisante à ce bord, mais sur cette voile, elles semblent inopérantes. Nous ne fronçons plus les sourcils, nous grinçons des dents. Contrariété, perplexité. Comme nous avons fait appel à un professionnel expérimenté et de bonne réputation pour tailler cette voile, nous hésitons à remettre en question la coupe. Ils doivent savoir tailler une voile, ces gens-là !
Il nous revient qu'une mesure importante n'a pas été demandée dans la commande : la courbure de notre mat. Or, elle est assez prononcée, même au repos. J'en avais parlé au téléphone, mais le maitre voilier n'avait pas considéré cette information comme importante. Un chantier technique nous immobilise au port pendant les trois semaines suivantes. Nous voilà réduits aux conjectures et discussions avec notre entourage. Après ces échanges, nous avons quelques pistes mais nous sommes limités dans nos actions à quelques réglages de tension du gréement, sans pouvoir faire de nouveaux essais en mer. On en profite pour améliorer le positionnement des prises de ris, ça ne peut pas faire de mal à la forme de la voile, ça.
Et puis un échange téléphonique avec le voilier nous étonne : il se pourrait qu'ils aient un peu trop forcé sur la surface totale, en arrondissant un peu trop ce bord du triangle. Ah. Dans ce cas, c'est corrigible relativement facilement et ils accepteraient de prendre en charge la correction. Bon. Nous convenons de poursuivre les essais tranquillement pendant l'été et de ne leur renvoyer la voile qu'en septembre, éventuellement, pour la retailler. Si cela s'avère toujours utile après nos différents essais de réglage du mat.
A suivre....
Cet inachevé réveille en nous le goût amer d'autres inachevés. Pendant le chantier de réparation en 2010, de multiples opérations étaient nouvelles pour nous et ne pouvaient être vérifiées ou finalisées qu'ultérieurement, après la mise à l'eau, après plusieurs navigations ou après quelques années d'usage. Nous avons ainsi vécu pendant quelques trimestres avec le sentiment diffus de "mauvaises surprises toujours possibles". Avec la grosse mise à l'épreuve qu'a représenté le périple en Norvège de l'été dernier, nous pensions être enfin sortis de cette période. Illusion d'avoir tant appris que désormais nous prenons des décisions plus sûres. Eh bien non. Il y a cette voile neuve de forme imparfaite, et il y a aussi, en ce moment, le chantier de remplacement des hublots, qui n'est pas fini non plus, et dont nous vous parlerons bientôt. Mais chaque projet technique du bateau nous oblige à nous documenter, à réflechir et à consulter les personnes compétentes de notre entourage ou les forums spécialisés. Nos connaissances génériques s'élargissent et se consolident et notre connaissance spécifique de notre bateau s'étend aussi. Le chemin que nous faisons là (comprendre les enjeux de forme, de structure, de tissus et de mise en place d'une voile neuve) ne sera plus à faire à l'avenir. Et c'est tant mieux !
19 septembre 2013 - La GrandVoile est de retour entre les mains du voilier, avec quelques photos. La discussion a tourné autour du rond de chûte et de la longueur des lattes. Nous apprenons avec consternation que la raison pour laquelle la voile est si plate est que "de nos jours, les gens réclament des voiles plates". Eh merdre! (comme dirait le père UBU) j'aurai dû insister sur le fait que je n'étais pas "les gens". Parce que, s'ils vont accepter de reprendre le rond ou les lattes, ça m'étonnerait qu'ils retaillent aussi le creux pour mes beaux yeux...
Rédigé par : Skol | 19 septembre 2013 à 18:53