Il était établi depuis longtemps que nous ferions trois fêtes : une à Strasbourg pour les amis d’Ariel, une à Orsay pour mes amis et une à Lorient pour nos amis communs. C’était un plan théorique, basé sur une vision conventionnelle de l’au-revoir. Notre envie de marquer symboliquement la chose était teintée d’un peu d’inquiétude de mal le faire et nous partagions une espèce de croyance en la symétrie de nos relations amicales et de nos besoins respectifs.
La pratique, comme toujours, s’avère assez différente de la prévision !
Ariel le premier a cassé ce beau programme en organisant non pas une mais deux fêtes à Strasbourg et il en prévoit même encore une troisième juste avant le départ! Réunissant séparément le cercle restreint de son équipe de travail de 20 ans et un cercle plus large d’amis de longue date remontant à l’enfance et d’autres plus récents, il a dit ainsi au revoir à tout un tas de gens de manière joyeuse, arrosée et prolongée jusqu’au petit matin. Des promesses chaleureuses ont été échangées, à propos de visites à nous rendre là-bas. Ariel invite très largement, en tablant sur un filtrage ultérieur, lorsque les candidats à la visite au Sénégal comprendront que nous n’y serons que pendant la saison des pluies et lorsque les candidats à la visite en Patagonie apprendront que cette région est une des plus pluvieuses au monde. Nous sommes curieux de voir qui, au-delà des mots, profitera concrètement de l’opportunité de notre voyage pour donner à ses rêves d'expéditions lointaines une chance de se réaliser.
De mon coté, tout bien considéré, je ne me sens pas l'envie d'organiser une fête à Orsay. Organiser des fêtes n’a jamais été ma tasse de thé, j'ai toujours préféré les petits comités qui conviennent mieux à ma surdité et à mon goût pour l’échange intime. Et puis le paysage de mes amis ne ressemble en rien à celui d’Ariel. Il est beaucoup plus clairsemé et moins saisissable, entre les amitiés de travail qui se sont délitées depuis lontemps, les amitiés estudiantines récentes et les amitiés underground pour lesquelles je manquais de temps ces dernières années. Je n’ai jamais vraiment su entretenir les relations amicales dans le temps long et celles de mes affections qui durent vraiment sont l’œuvre de mes amies tenaces et persistantes, qu’elles en soient remerciées[1]. Ma manière de dire au revoir à mes amis sera donc individualisée et intimiste. Une visite, un échange téléphonique, un petit mot écrit.
Quand à la dernière phase des adieux, aux amis bretons, il s'agira d'une délicate alchimie; la rencontre , peut-être, entre des personnages aussi divers que des pêcheurs non voileux et des voileux non pêcheurs, des techniciens de l'industrie militaire et des profs, une candidate à la députation et un joueur de cornemuse et aussi le petit groupe local des amateurs de Tai-chi-chuan. Mais au fond quel est le sens de ces au-revoirs ? Cherchons-nous à tourner une page de notre histoire ? A frapper les esprits de ceux qui restent ? A donner sens à une rupture dans la relation ? Qu'arrive-t'il aux gens qui partent sans dire au revoir ?
[1] Mon inaptitude presque pathologique à entretenir les liens dans la durée est une des conséquences du périple de 11 mois que ma famille a entrepris l’année de mes 13 ans, autour de l’atlantique nord. A peine entrée dans l’adolescence, âge de l’apprentissage et de l’expérimentation des amitiés choisies, j’ai appris au contraire à quitter les amis, à rompre des amitiés rapidement constituées, au fil des escales toujours trop courtes de ce point de vue.
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