Pour la première fois depuis 30 ans, je ne suis plus propriétaire[1] d’une voiture. Vous n’imaginez pas combien ça me soulage ! Mais c’est étrange comme le fait de vendre ma voiture m’a fait repenser à l’époque où je l’ai achetée. Voyons voir… j’étais en train de divorcer, la maison était vendue et j’étais cadre sup’ dans une grosse boite de l’industrie mécanique, je me suis donc « fait plaisir ». Je voulais une voiture décapotable et, dans mon imaginaire du moins, seul Saab savait bien faire ça. Donc Saab. Noire bien entendu. La classe[2].
L’idylle entre cette voiture et moi n’a curieusement pas duré longtemps. Le ver était déjà dans le fruit, ou plutôt ma désintoxication consumériste était déjà engagée. Pour compenser la défaillance du binôme parental et tenter d'assumer mieux mon rôle de mère, j’avais notamment banni la télé de ma vie[3]. Je disposais donc de plus de temps pour débattre avec mes enfants et j’avais plus de neurones disponibles pour lire et penser. Pour porter une pensée critique construite sur ce qui se passait dans ma boite, par exemple, pour voir d’un œil presque martien comment la novlangue des dirigeants nous formatait et nous conduisait à faire des choses dépourvues de sens, voire même à contre-sens du sens commun.
J’ai acheté cette voiture en 1999. Un an plus tard je réduisais mon temps de travail à 4/5ème , renonçant à 20% de mon revenu annuel. Même si à l’époque je l’ignorais, j’étais en fait déjà définitivement perdue pour la cause de la croissance. Cette voiture symbolise donc ma dernière grosse décision sous l’emprise du système de pensée généralisée, système qui sévit encore largement de nos jours, qui veut que « plus » soit équivalent à « mieux ». Quinze ans plus tard et 206 000 km plus loin, je lui dis au revoir sans regret. J’aurais pu m’en séparer plus tôt mais pour la remplacer par quoi ? J’ai préféré réduire ma consommation de kilomêtres automobiles, petit à petit, en me familiarisant avec les transports en commun et le fait que dans les transports en commun, on pense, on lit, on rencontre, on observe, et même si on peste parfois dans leurs aléas, on peste moins et on stresse moins, il me semble, qu’en véhicule particulier.
Ariel est en train de vendre la sienne, la Titine, petite AX aux portières rapiécées et dépareillées, qui est à elle seule un signe extérieur de non-croissance. Dans la suite de la logique qui est la sienne depuis de nombreuses années, Ariel est heureux de vendre lui aussi sa voiture, mais il en est heureux pour d’autres raisons que moi. Comme il en a hérité un peu par hasard et n’a pu la garder pendant presque 10 ans, malgré son âge déjà avancé, qu’en la ménageant du coté de l'accélérateur et en l’utilisant avec parcimonie [4], il est heureux qu’elle ait une occasion de poursuivre sa carrière modeste entre les mains d’un bricoleur attentionné qui prolongera encore sa vie utile. Car cette voiture fait partie des anciennes qu’on peut encore entretenir et réparer à peu de frais quand on bricole un peu et qu’on sait où se trouvent les casses du coin. Ca n'existe preque plus, ces voitures, chez nous.
Il a un petit regret, Ariel : il aurait aimé transmettre Titine à l’un de mes enfants, qui sont tous les deux en âge de conduire, et qui ont tous deux déjà goûté à la sensation ambivalente de griserie et de trouille qu'on ressent lorsque, jeune pré-conducteur débutant sur des parkings, on presse la pédale qui déclenche le développement de la puissance mécanique vrombissante. Mais voilà, mes enfants ne coopèrent pas à ce projet. Ils ont décidé pour le moment de ne pas passer « le permis », et comme ils ont 20 et 24 ans c’est un choix que nous ne sommes plus en droit de contester, quelles que soient nos objections, tantôt égoîstement centrées sur l'envie que j'avais de partager le volant lorsqu'on voyageait ensemble, eux et moi, tantôt affectueusement préoccupée de l'accès au travail compliqué par l'absence dudit permis. Ils y seront peut-être poussés un jour par la nécessité, comme Ariel l'a été dans sa jeunesse. Tandis que pour nous à leur âge, la voiture était synonyme de liberté et d'indépendance, pour eux, à cet âge, elle est synonyme d’aliénation. Signe des temps qui changent, sans doute.... Pendant notre jeunesse, celui qui ne rêvait pas d’une bagnole passait pour une mauviette et l'on n’était un adulte qu’avec son permis en poche et un crédit en perspective. De nos jours, on peut assumer ce genre de choix sans trop se faire mettre au ban de la société.
[1] J’assume désormais sans états d’âme mon statut d’utilisatrice de VDA (Voitures Des Autres) que ça soit en location, stop, emprunt, covoiturage.
[2] Cette voiture est la seule chose qui m’ait valu une remarque appréciative / admirative de la part de celui de mes oncles qui faisait autorité en matière de réussite professionnelle et sociale. Eh oui, moi aussi j’ai été sensible à ça. C’était à une époque lointaine….
[3] Contrairement à la cigarette, le premier essai a été le bon, je ne suis jamais plus retombée dans cette addiction.
[4] Visite aux parents et répétitions hebdomadaires de Rock & Roll
J'adoooooooooore la note de bas de page n°2 ;-))
Rédigé par : Sylvie | 08 mai 2014 à 21:59