Regardez bien ce petit voilier qui navigue à quelques encablures de Skol. Il a trois propriétés remarquables, ce joli petit bateau : premièrement c'est un Sangria, un bateau de grande série qui a le même architecte que notre Jurançon, un cousin, donc, une silhouette que nous connaissons bien. Secondement il est manœuvré par deux Noirs et zéro Blancs, ce que nous n'avions jamais vu jusqu'à ce jour. Troisièmement, il marche au près, c'est à dire de manière pointue contre le vent et nous avons le plaisir d'observer plusieurs virements de bord qui marquent une véritable maitrise de la voile occidentale et une longue pratique. Un petit mystère pour nous!
Le propriétaire, nous le rencontrerons le lendemain sur le rivage, comme s’il nous attendait, impatient de nous rencontrer lui aussi, et il se fera un plaisir de nous conter son histoire de plaisancier africain par le menu. L’histoire commence dans sa jeunesse, par une rencontre avec Fabrice, jeune navigateur français, qui lui confiera la garde de son bateau le temps d’un retour urgent en France, puis lui enseignera l’art de la navigation à la voile, au long de plusieurs années passées à parcourir les bolongs du Saloum et de la Casamance et de quelques traversées vers les iles du Cap Vert, pour finalement lui faire cadeau du petit bateau lorsqu’il s’en fera construire un plus gros. Famara hérite donc avant ses trente ans du virus de la voile et de son premier voilier. De longues années plus tard, le Sangria arrive dans sa vie, choisi à Dakar parmi les nombreux bateaux délaissés par leurs propriétaires (1), racheté un bon prix, dédouané pour un cout raisonnable grâce à tonton, et conduit à la voile de Dakar au Saloum par un Famara téméraire, qui entreprenait ainsi sa première navigation hauturière en solo.
Depuis trois ans, Famara navigue pour le plaisir autant que possible et aussi de temps en temps pour le plaisir de touristes et l’amélioration de ses finances: jusqu’à 7 personnes à bord, nous raconte-t’il avec malice. La loi sénégalaise n’a pas encore de texte pour réglementer le nombre de passagers sur un voilier, et quand bien même elle en disposerait, il n’est pas certain que cela changerait grand-chose…. Mais il cherche aussi à promouvoir la voile auprès de ses compatriotes, en offrant par exemple une sortie à la voile à des ados comme récompense pour la réussite à leurs examens, en emmenant dans les marigots un ami ou une famille amie, en sonnant à toutes les portes institutionnelles pour tenter d’ouvrir une école de voile, mais sur ce dernier plan, il rencontre peu d’écho favorable. Le Sénégal a d’autres soucis que la promotion des sports nautiques et la voile est immédiatement associée, dans l’esprit de l’administration, à l’opulence économique et au risque de collusion avec les trafiquants de la région (2). Famara reste bien seul dans sa pratique, alors que pourtant, le bassin de navigation est si intéressant pour la petite voile côtière.
Au fil de ses récits, une idée germait en nous, l’idée de ne pas retourner à Dakar comme nous nous apprêtions à faire avec réticence, l’idée de laisser le bateau ici pendant notre retour en France. Car nous étions alors nous aussi aux abois à ce moment-là, nous devions rentrer en France car les nouvelles de la santé de maman étaient très mauvaises depuis quelques jours. C’est ce que nous avons fait, nous avons choisi de faire confiance à une rencontre amicale et à une petite ville paisible pour laisser Skol pendant deux semaines qui sont devenues trois. Les choses se sont mises en place très vite, un échange avec Fabrice au loin, à propos de la tenue du mouillage, un échange avec les douanes locales pour que notre absence ne soit pas considérée comme suspecte, une attestation manuscrite du gérant de l’auberge (3) en face du bateau. Famara nous a régulièrement rassurés sur la situation, énonçant les orages et tornades victorieusement essuyés par le jurançon et le sangria côte à côte. Nous avons retrouvé Skol intact à notre retour, 20 à 30 mètres plus loin que là où nous l’avions mis, à cause des bourrasques, et avec juste quelques kilos en plus, car les coquillages se développent très vite dans ces eaux fertiles, chaudes et très salées. Comme cadeau pour le Sangria, nous avions rapporté un instrument de navigation qui provenait du bateau fétiche de maman et qu’elle donnait avec joie. Famara aura été l’un des rares hommes dans ce pays qui nous aura rendu service sans rien attendre de nous, sans chercher à en tirer un avantage, une bonne affaire, sur le champs ou plus tard. Dans quelques jours nous aurons le plaisir de l’accueillir à bord pour la descente du fleuve jusqu’à Djifere, ultime escale avant notre « grande traversée ». Nous nous réjouissons des longues heures que prendra cette descente du fleuve, qui nous permettront de mieux connaitre ce personnage étonnant.
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1 - Le Cercle de Voile de Dakar est le triste mouroir de pas mal de voiliers, dont le propriétaire rentre en Europe et ne revient plus, pris dans une tourmente de la vie qui ne lui permet pas de reprendre son périple, problème financier, familial ou de santé.
2 - Vous êtes tous des trafiquants !, nous a dit le douanier à Dakar, pointant vers nous un doigt accusateur. L’un des bateaux qui meurent au CVD actuellement est un bateau arraisonné pour trafic de drogue et dont le propriétaire est en prison. Ce n’est pas une raison pour tous nous mettre dans le sac ! Est-ce qu’on les traite tous de corrompus sous prétexte que l’un d’entre eux, justement celui-ci, a demandé, au moment de nous remettre le papier indispensable « il faut m’aider, j’ai une grande famille » ?
3 - Il s’agissait de certifier que le bateau est bien là car il nous faudrait fournir une adresse au Sénégal pour avoir le droit de revenir dans le pays. Le gérant est un autre Famara, qui s’est présenté lui-même comme « le gardien de la plantation de voiliers » pour signifier son habitude de voir des bateaux au mouillage en face de son établissement et à qui nous devons, en plus des attestations, une conversation passionnée sur l’islam sénégalais que nous ne sommes pas près d’oublier !
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