Le lecteur attentif de ce blog se souvient que nous nous sommes battus contre une colonie d'huitres agrippée à notre quille qui hébergeaient des petits poissons dans leurs recoins, lesquels petits poissons avaient la mauvaise idée de se réfugier dans le tuyau d'aspiration de la pompe de refroidissement de Yann. La grande bataille a eu lieu à San Blas, dans la lagune, Skol couché sur le flanc et nous a genoux dans les graviers, burin et marteau à la main. Seul le flanc tribord avait pu être ainsi traité, réglant le problème des pannes moteur trop fréquentes. Il restait à nous occuper de même du flanc bâbord, la face B. Les plages de la Baia de Ilha Grande nous semblaient de bons terrains pour un nouvel échouage sur le flanc. De loin, ça semblait simple : du sable, des plages très abritées donc sans risque de houle ou de clapot qui peuvent abimer le bateau aux moments critiques de la posée et de la remise à flot. Mais nous n'avions pas examiné les marées. Or, ici, l'amplitude des marées est très faible en temps ordinaires, pas assez importante pour que la coque soit complètement hors de l'eau à marée basse même si on pose à marée haute. Quand on cherche les grandes marées, celles qui seraient juste suffisantes, on tombe sur des horaires impossibles. Il faudrait poser en pleine nuit pour avoir la coque dégagée au petit matin. Ou poser l'après-midi et travailler sur la coque dégagée à la nuit tombée, car il a beau faire un temps tropical, on est tout de même en hiver et les journées sont courtes. Nous avons laissé passer les grandes marées de pleine lune ; on n'allait tout de même pas caréner pendant le séjour brésilien de la maman et de la sœur d'Ariel. Les grandes marées suivantes sont des marées de lune noire ; inutile de tenter de se poser la nuit car on ne verrait pas les cocotiers qui auront été choisis la veille comme repères pour assurer une posée dans le sable, loin des cailloux et pas non plus dans la vase. Mais les prochaines marées de pleine lune sont au début du mois de septembre. Or, nous souhaitons reprendre la route vers le sud avant la fin aout. Voilà le type de débat qui nous anime parfois pendant des semaines : une posée au petit jour qui dégagera seulement une partie de la coque et peut-être pas du tout la quille, rendant le carénage encore plus difficile que d'habitude et sans doute imparfait ou bien un report aux calendes grecques de l'opération « face B » ?
Finalement le réveil sonne à cinq heure vingt du matin, le jour pointe pendant le premier café, le moteur est mis en route dès que la lumière est suffisante et la rencontre entre Skol et le sable se produit quelques minutes plus tard. Ariel emporte une amarre à terre pendant que je pousse au moteur pour faire pivoter l'axe du bateau parallèlement à la plage car il s'agit de maximiser la quantité de coque qui sera hors de l'eau et de bien dégager l'hélice pour l'examiner et la récurer à fond. Le temps de prendre quelques photos pour immortaliser cet échouage à l'aube et au paradis, sur sable blanc, sous les cocotiers et sous le regard des aigrettes blanches, à sept heures, le travail commence, avec de l'eau jusqu'aux hanches et se poursuivra pendant plus de quatre heures. Au fur et à mesure que l'eau recule, nous progressons vers le bas. La quille ne sera jamais au sec mais sera suffisamment accessible pour un grand ménage dans l'eau, un peu à l'aveugle et un peu avec masque et tuba, à genoux et à bout de bras.
Au loin les courbes de la montagne se reflétant dans l'eau font penser à un lac alpin, pour autant qu'on imagine des conifères à la place de la Mata Altantica, la forêt tropicale! Une tortue passe à quelques mètres du rivage. Elle respire trois fois et puis replonge. L'aigrette nous surveille du coin de l'œil en picorant les petits crabes. Quand l'heure sera venue de lâcher les outils et d'attendre que la mer remonte, on aura droit à une douche d'eau douce, l'eau de la montagne, à la frontière entre la forêt et la plage.
Dès le lendemain, nous avons l'heureuse confirmation que, dégagé de ses amas d'huitres, pousse-pieds et autres végétaux et animaux, Skol a gagné un nœud de vitesse ! Et comme la pompe à eau (1) a été entièrement rénovée quelques jours auparavant, Yann ne fume plus. Nous voilà donc plus sereins pour la longue route qui nous attend !
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Il y a un rapport entre le carénage et la pompe à eau du moteur. Les multiples alarmes moteur déclenchées par les petits poissons obstruant l'arrivée d'eau depuis que nous avons quitté le Sénégal, ont nécessité de multiples arrêts du moteur « à chaud », c'est-à-dire sans lui accorder les cinq minutes de marche au ralenti recommandées avant tout arrêt, pour lui permettre d'abaisser un peu sa température. Le moteur stoppé trop chaud et de plus sans eau de refroidissement a eu des coups de chaud qui sont sans doute responsables des espèces de bouchons de sel accumulés à certains endroits du circuit, (endroits heureusement accessibles à des mécaniciens novices). Les bouchons de sel en question réduisaient le passage d'eau de refroidissement et depuis plusieurs mois, Yann s'était mis à fumer même à bas régime, de manière suspecte. Et quand un bouchon de sel se forme, il ne fait qu'amplifier. Ce n'est pas tout. Les bouchons de sel avaient fini par tant réduire le passage d'eau que la pompe s'est retrouvée contrainte de forcer anormalement pour envoyer son débit. Sous la pression anormale, un joint d'étanchéité de la pompe s'est mis à fuir, et ces dernières semaines, pendant que nous promenions Régine et Yona de plage en plage, les cales sous le moteur se remplissaient d'eau. La vie au paradis n'est pas totalement exempte de préoccupations et tout incident peut avoir des conséquences en chaine parfois graves. Nous avons eu la bonne idée de n'ouvrir cette partie du moteur qu'après le départ de nos invitées et à proximité immédiate d'un revendeur de pièces moteur que nous savions bien pourvu en stock. Il a suffi de quatre jours d'immobilisation à moteur ouvert pour dégager la pompe, diagnostiquer le problème, acheter les pièces à changer, la démonter partiellement, chercher un atelier équipé d'une presse pour finir le démontage en force, consulter les bateaux voisins pour être sûrs de ce qu'on faisait, retourner à l'atelier pour le remontage sous presse et remettre les choses en place sur le moteur avec des joints neufs. Je sais que tout cela n'intéresse que peu d'entre nos lecteurs mais ça nous a pris la tête assez sérieusement pour que je n'aie pas envie de le passer sous silence.
l'entretien et les incidents qui en découlent font partis du voyage. ne pas en parler rend le voyage lisse et paradisiaque, alors que ce qui ressort de ton témoignage démontre que dans ce projet comme dans d'autre, il y a des contraintes.
Tes posts sont mes rayons de soleil, merci.
Rédigé par : patricia | 02 septembre 2015 à 09:00