Nous ne nous attendions pas à un grand soleil, mais il y avait espoir tout de même d'une météo convenable. De toute façon, avec les travaux sur la Carretera Austral, même en renonçant à aller plus au sud, on n'avait pas vraiment le choix. C'était ce jour-là ou jamais (1). Deux bonnes heures de piste, en minibus, dans la vallée du Rio Tranquilo, sous un plafond malheureusement trop bas pour bien admirer les sommets, nous conduit au bord d'une rivière agitée d'un courant puissant, sous une pluie fine tristounette. Chacun rabat la capuche sur le bonnet et les plus prévoyants sortent leurs gants. Le bateau qui va nous mener à la Laguna San Rafaël ne peut pas remonter la rivière aussi loin et nous attend en aval, au méandre suivant. Nous passons sur l'autre rive du Rio à l'aide d'une barcasse puis parcourons les derniers kilomètres dans une camionnette dont l'état de délabrement avancé explique pourquoi elle a été reléguée au travail sur cette terre où la maréchaussée n'accède jamais. Le coté trash de cette aventure nous amuse bien (2), même si la météo nous préoccupe. Est-ce qu'au bout on va réussir à voir quoi que ce soit dans cette bruine ? Pendant les heures qui suivent, un petit bateau (3) qui ne paye pas de mine nous propulse à vingt nœuds vers rien moins que le glacier maritime le plus éloigné de son pôle de toute la planète ! Il ne suffirait pas de déplacer les Alpes Suisses jusqu’au littoral Vendéen pour obtenir ce résultat. Il faudrait en plus que leur manteau glaciaire soit suffisamment gigantesque pour remplir une vallée entière de glace fracturée, glissant et poussant jusqu’au niveau de la mer, sans que ça se termine en soupe de glace fondue.
A cette vitesse et avec un essuie-glace poussif, le pilote ne voit pas bien les glaces flottantes qui jonchent notre route. Assez égoïstement, je me porte volontaire pour faire la vigie, à l'avant, sortant ainsi de la passivité à laquelle nous invite la formule « organisée ». Ce rôle m'expose à la pluie qui gifle mon visage et au froid qui s'accentue à mesure qu'on approche du monstre - ou bien est-ce juste une impression ? - mais il m'isole en même temps de l'ambiance conviviale de la cabine – chauffée - et de la passerelle arrière - abritée du vent et de la pluie. Caparaçonnée sous ma capuche et dans mon col remonté, j'entretiens mon phantasme d'être seule, ainsi juchée à la proue, seule au milieu des icebergs. La gratitude me serre la gorge, les larmes montent. C'est magnifique, même par ce temps maussade. L'expérience est très différente de notre inoubliable approche du Pio XI , mais je retrouve l'intensité de l'émotion. Avant même de commencer à voir la face du glacier lui-même, alors que nous doutons même de la possibilité de la voir tant la visibilité est réduite, nous sommes déjà entourés d'une multitude d'icebergs colossaux, d'une taille tellement supérieure à ce que nous avons vu auparavant que ça dépasse ce que j'avais imaginé. Peut-être est-ce une question de saison ? Là se trouve le cadeau pour moi, pour nous : dans le spectacle incomparable des blocs de glace immenses dérivant sous l'effet des écoulements d'eau issus de leur propre fonte, tournoyant lentement pour nous montrer leurs facettes, leurs formes creusées en nef, leurs couleurs incroyables allant du blanc au turquoise profond (4). On se croirait en Antarctique !
Pendant les heures que nous passons à quelques dizaines de mètres de la face du glacier, je reprends contact avec le petit groupe que nous formons, mais ma joie enfantine ne s'éteint pas, et je pousse des cris enthousiastes à chaque grondement, à chaque craquement, à chaque bloc qui se détache, à chaque pan de glace qui s'effondre. Je hurle même lorsqu'un iceberg grand comme dix maisons, mangé par la fonte rapide de sa propre matière, déséquilibré dans ses lignes, s'incline soudain à quelques mètres de nous, dévoilant ses dessous dans un jaillissement d'écume, pour se retourner complètement et se stabiliser sens dessus dessous. La puissance du mouvement me coupe le souffle et je mesure combien il serait délicat d'être ici avec notre petit voilier.
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Avec Skol, il aurait été possible d'attendre quelques jours que le ciel se dégage franchement, comme nous l'avons fait en mai pour voir Pio XI.
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Nous rigolerons un peu moins quand, au milieu du trajet retour, le minibus, supposé en bon état, perdra une roue arrière en plein virage gravillonneux. Ca fait une drôle d'impression de discuter avec le chauffeur et de voir passer en arrière-plan surréaliste, une roue du véhicule, nous rattrapant, dansant, rebondissant et disparaissant dans les fougères.
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Pour assurer l'aller et retour dans la journée et suffisamment de temps dans la lagune elle-même, il n'y a que deux options : l'énorme catamaran qui part de Puerto Chacabuco avec 200 passagers quatre étoiles ou bien l'une des petites embarcations qui partent de La Baie des Explorateurs avec 5 ou 6 passagers rustiques. Quand on compte les chevaux cumulés des deux moteurs à l'arrière, on réalise la distance à parcourir. Pendant que nous sortons de la Baie des Explorateurs et que notre vitesse augmente, avec la mise en route du second moteur, je lorgne sur le poste de pilotage et fais les yeux doux à Reinaldo, le capitaine, qui finit par comprendre et me passe les commandes, quelques minutes. Jubilation de piloter un engin lancé à plus de dix-huit nœuds. Ouahou !
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Plusieurs théories existent à propos de ces gammes de bleus. Particules minérales incrustées dans la glace ? Réfraction de la lumière dans les cristaux comprimés ?
Wahouhou ! Encore merci pour ce partage !
Des gros bisous à vous deux,
Lolotte
Rédigé par : Lolotte | 07 janvier 2017 à 14:07
Bonne Année Lolotte !
Rédigé par : Isabelle | 12 janvier 2017 à 21:04