On nous appelle à la radio. C'est le voilier là-bas qui fait route en sens inverse. Il nous demande si nous n'avons pas vu « une jolie baleine » dans le coin. Quelqu'un leur a dit hier qu'il y en avait une. La question nous interloque. « Une » baleine alors qu'il y en a tant dans cette région et que la saison de leur migration à travers l'archipel de Terre de Feu bat son plein ? Une « jolie » baleine, comme si on pouvait distinguer laquelle a un dessin de nageoire caudale à la mode ? Ou une taille svelte ? D'ailleurs, quelle est le standard de beauté des baleines ? Et ils posent la question comme si on allait sans vergogne leur signaler la belle solitaire, pour qu'ils aillent l'enquiquiner avec leur moteur ?
Chut. Hier, ce sont des dizaines de souffles que nous avons vu passer devant notre Camp de Base n°2. La semaine dernière, quelques-unes se sont approchées de nous pendant une manœuvre de voile, tant pis pour le portrait en gros plan, l'appareil photo était hors de portée. Dans le détroit de Magellan, déjà, ce sont aussi plusieurs dizaines de migrantes que nous avons admirées en quelques jours d'observation tranquille. Nous avons joué à compter le nombre de souffles qui précèdent la plongée, parce que c'est quand elle plonge que la baleine à bosse offre au regard ce si gracieux mouvement de nageoire caudale. Mouillage avec vue sur les baleines, petit café avec les jumelles à la main, le cockpit résonnant de nos hooo ! haaa ! As-tu vu celle-ci ? Attention elle va plonger ! Quand elles sont groupées, on ne sait plus qui souffle, qui passe et qui plonge. Un régal.
Pour en revenir à nos candides amateurs de cétacés, croyez-le ou pas, on n'a pas pensé à leur dire tout ça, alors même qu'ils vont peut-être bientôt passer par toutes ces zones-là puisqu'ils semblent aller vers Magellan tandis que nous en venons. Ils en cherchaient « une » et en plus une « jolie » : « una hermosa ballena ». Ça, on n'avait pas. S'ils avaient demandé un nombre quelconque de baleines quelconques, peut-être qu'on aurait pensé à leur donner l'information, ha ! ha !
En réalité nous n'étions pas très attentifs à leur question, parce que ce qui nous occupait à ce moment-là, ce qu'il y avait à ce moment-là dans l'eau, autour de nous, autour d'eux, et qu'ils n'ont visiblement pas vu, c'est du krill en quantité fantastique. Des bancs de krill d'une telle densité qu'ils traçaient des plaques rouge vif dans l'eau, pour peu que l'on regarde. Après en avoir traversé un, puis un autre, voyant ce qui de loin ressemblait à de la peinture à peine diluée se transformer en grouillement à l'approche, il nous est venu l'idée de sortir la petite caméra submersible pour voir à quoi ressemble un banc de krill depuis un point de vue moins surplombant, disons …. du point de vue de la gueule grande ouverte de la baleine ?
A question précise, réponse précise que diable !
Merci pour ces belles photos de krill, ces souffles qui bruissent à mon oreille.
Rédigé par : jannick | 26 avril 2018 à 14:22