Bien qu'Alejandro nous ait fait découvrir des techniques de soin aux plantes et aux sols dont nous ignorions jusqu'à l'existence, je me sentais un peu frustrée de ne pas participer à une véritable expérimentation pendant notre stage. Nous nous contentions de mettre en œuvre ses pratiques habituelles et sans doute était-ce le plus sage. Mais vint un jour où la prolifération accrue des cloportes nous fit hésiter à engager une fois de plus le traitement à la terre de diatomées (1). J'osai alors suggérer que nous pourrions faire venir quelques poules pour picorer les insectes. Le regard de notre capitaine des champs me signala qu'il y avait pensé. Mais il ne l'avait jamais pratiquée et se posait la question du comment.
- Comment faire pour que les poules n'aillent pas saccager les rangées de jeunes laitues plantées le matin même à côté ?
- Et si on essayait avec une, en lui attachant une patte au poteau avec un petit ruban souple ?
Nous voilà partis pour le poulailler. J'apprends comment on attrape une poule par la queue. Il apprend comment on amarre une poule par la patte. Mais la cocotte ainsi en laisse, après avoir bien agité la patte pour tenter de se libérer montre son désaccord total en tournant le dos aux cloportes et en regardant dehors. Nous cogitons à trois sur les raisons de cet échec. Car c'est certain, tous les manuels de permaculture parlent de la poule insecticide, il doit donc bien y avoir un moyen pour que ça marche.
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Peut-être qu'elles ont besoin de temps pour comprendre ?
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Peut-être qu'elles n'aiment pas être attachées ?
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Il faudrait un long grillage pour faire une clôture provisoire !
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Ha, mais j'ai quelque chose comme ça ! La maille qui sert à faire de l'ombre en été. Très long et juste la bonne largeur.
Une demi-heure plus tard, l'enclos provisoire est installé et nous repartons à la chasse aux poules. Cette fois-ci Alejandro s'empare d'un coq après m'avoir confié deux poules et le reste de la bande suit le mouvement. On glisse tout ça, plumes sens dessus dessous, par-dessous la toile et on observe. Elles sont un peu désorientées quelques minutes, se regroupent, bavassent, se demandant sans doute les unes aux autres ce qui se passe, car c'est bien la première fois qu'on les laisse libres dans la serre sans leur crier dessus pour qu'elles en sortent. Et puis, fatalement, l'atavisme prend le dessus, le regard perçant remarque un petit mouvement au sol et hop ! Un petit coup de bec ! Oh mais c'est qu'on se régale ici, dis donc ! Passez le mot, les filles, c'est un festin !
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Ca y est, c'est gagné, elles grattent et elles picorent !
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Vise un peu le grand sourire du patron ! Ah ! Ah !
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La prochaine fois on pourrait même affamer les poules en ne les nourrissant pas le matin…
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Dis-moi, c'est aphrodisiaque, les cloportes ? Tu as vu le coq ? Comme il s'en donne à cœur joie avec les poulettes ?
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Tu vas voir, capitaine, bientôt tu n'auras plus besoin de les poursuivre pour qu'elles viennent faire le boulot.
Je suis allée voir ce rang à chacune de nos journées de travail suivantes. D'habitude il fallait toujours replanter 10%, 20% des plantules, pour remplacer celles qui avaient flanché dans les premiers jours, malgré la poudre de diatomées déposée à chaque pied pour décourager les insectes. Eh bien cette rangée-là, la rangée de tomates que nous avons plantée après deux petites heures d'insecticide bec et ongle, a eu un taux de perte de zéro.
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Poudre de fossiles de diatomées présentant des facettes microscopiques effilées comme des rasoirs qui blessent les pattes des insectes, ce qui les fait renoncer ou mourir. L'élimination manuelle de myriades de cloportes n'est pas envisageable.