Un autre heureux propriétaire de Jurançon, motoriste de son métier, bricoleur invétéré de tempérament et généreux de nature*, est venu nous aider sur le chantier, le temps d'un week-end pendant la phase "remontage". Comme il se doit, nous avions dédié ce week-end à l'opération de remontage et réalignement de l'arbre d'hélice, que le chantier, n'avait, semble-t'il, pas prévu au devis. C'était encore une surprise dans le déroulement du chantier, mais nous avons sauté sur l'occasion pour apprendre à le faire.
Un arbre d'hélice de voilier (1) est une barre cylindrique en acier de 25mm de diamètre et un peu plus d'un mètre de long. Il est suspendu entre ses deux extrémités, l'une hors de l'eau (dans le bateau), l'autre dans l'eau (sous la coque).
- A un bout, la pièce de sortie du moteur qui se trouve à l'intérieur du bateau, qu'on appelle "tourteau d'accouplement" (3) et qui assure l'alignement de l'arbre avec l'axe du moteur lui-même. Il faut une surface plane perpendiculaire à l'axe du moteur, qui assure l'angle de positionnement de l'arbre, et un épaulement cylindrique dont le rôle est d'assurer un bon positionnement du "centre".
- A l'autre bout, un petit tube de 10 ou 15 cm de long, en matière semi-rigide, qu'on appelle "bague hydrolube" (4) pour indiquer qu'elle se lubrifie avec l'eau. Cette bague est insérée dans le bas d'un petit aileron, situé sous la coque, près du gouvernail, elle se trouve donc dans l'eau. L'arbre dépasse en arrière de ce tube et c'est là qu'on fixe l'hélice. La bague étant semi-rigide, elle supporte un ou deux millimètres d'erreur d'alignement, mais pas plus.
- Entre les deux, la sortie de la coque, un point où l'étanchéïté doit être assurée, tout en permettant la rotation de l'arbre qui entraîne l'hélice. C'est le fameux "presse-étoupe" (2) qui n'assure que l'étanchéité, et pas l'alignement. Trop serré il chauffe et s'use, pas assez serré, il fuit, et l'eau entre dans le bateau.
Si tout ça n'est pas bien aligné, on peut constater des vibrations, qui provoquent du bruit, et de l'usure à la longue ou très rapidement dans les cas graves.
Jusqu'à ce jour, aucun de nous deux n'avait démonté ni remonté d'arbre. Notre presse étoupe était si bien réglé lors de l'achat du bateau, il y a 4 ans, qu'il n'a jamais nécessité qu'on s'y intéresse.
Premier coup d'oeil de notre motoriste sur le matériel, et grincement de dents : l'épaulement cylindrique destinée à assurer le centrage entre l'arbre et le moteur est abimée. Il a été forcé lors d'un montage, mais forcé sérieusement. "Quelle est la brute qui a monté ça?" ... Il faudra à notre ami trois bonnes heures de soins millimétriques, limage, toilage, essais, retoilage, etc.... pour lui rendre une surface permettant un centrage correct.
Second coup d'oeil et incompréhension : il y a, entre le moteur et l'arbre, une pièce imprévue, un accouplement élastique appelé "Flector" (5) qui ne respecte pas les exigences d'appui pour le centrage. Imaginez une règle d'accouplement qui s'énoncerait "un épaulement mâle dans un logement femelle" (en fait, c'est réellement ainsi que les mécaniciens désignent un tel assemblage). Il est possible d'insérer des pièces intermédiaires tant qu'on respecte la règle male/femelle, afin de ne pas perdre le centrage. Mais là, le Flector est un double femelle, donc il perd le centrage, et on ne peut assurer le positionnement de l'arbre qu'approximativement, à l'aide des vis de fixation. Cet accouplement élastique est un disque d'élastomère enserré entre deux disques métalliques et on comprend bien que l'élastomère doit servir à rattrapper les désalignements et à amortir les vibrations. Nous passons la soirée à nous perdre en conjectures, notre ami affirmant que son propre bateau n'a pas de Flector, et Ariel, fouillant dans les archives de son ordinateur, retrouve une photo du moteur d'un autre Jurançon, que nous avons visité avant de rencontrer Skol, et ... il a un Flector ! Qui a raison ? A quoi sert d'amortir les vibrations si on les crée justement en perdant l'alignement ?
Préinstallation et vérification de l'alignement : c'est centré, à très peu de choses près , ouf !!!! Ayant constaté un défaut de mise en place du caisson moteur sur son embase, après le chantier chaudronnerie, nous étions préoccupés du risque de désalignement. En effet, la moitié babord du bateau a été temporairement ouverte en grand, et le bateau a été couché sur son flanc pour permettre le travail des chaudronniers sur le "fond" du bateau. S'était-il déformé à ce moment-là ? Le centrage satisfaisant de l'arbre nous rassure sur ce point.
Reste à décider si on remonte avec ou sans .....Flector or not Flector?
* Il a par ailleurs refusé toute publication de photo de lui et toute citation de son nom dans le blog. Il tient à sa tranquillité.