Nous venons de passer trois jours au mouillage, dans une baie déserte et entourée de basses collines pelées, paysage typique de la Patagonie orientale. La baie était bien protégée des vagues mais pas des vents. Cette escale, nous l'avions choisie pour nous abriter avec plus de vingt-quatre heures d'avance d'un gros coup de sud que nous n'avions pas envie d'affronter en mer. La première nuit fut blanche après un violent décrochage de l'ancre qu'il nous a fallu relever et repositionner en catastrophe dans des rafales soudaines et dans le noir. Nous venions tout juste de nous attabler devant un filet mignon et des patates sautées destinés à célébrer une jolie navigation de quatre jours. Le cosmos, vous savez, est souvent très taquin. Certes, le rivage vers lequel ces rafales nous poussaient sous la pâle lumière des étoiles était de sable et coquillages, mais bon. Coucher le bateau sur le sable de nuit sous la poussée violente et non désirée du vent n'est pas la même aventure que le poser de jour, délicatement et dans un endroit soigneusement choisi pour faire un carénage. Loin de tout port, aucune aide extérieure n'aurait été disponible pour nous sortir de ce mauvais pas. Certes, ces rafales se sont calmées rapidement mais la trouille que ça puisse repartir aussi soudainement sans nous laisser le temps de nous rhabiller pour intervenir, nous a fait prendre ce qu'on appelle des « quarts de mouillage » : chacun veille à son tour, en tenue de combat et l'autre dort tout habillé.
La seconde nuit non plus n'a pas été bonne. Le coup de sud attendu a été puissant, de longues heures de rafales frisant les quarante nœuds en rugissant évidemment. Mais nous avions changé de coin pour être mieux situés en cas de décrochage et fort heureusement tout a bien tenu (1).
La troisième nuit fut excellente et acheva de nous réconcilier avec cette petite baie de Santa Elena.
Entre ces nuits, des journées tranquilles, passées à contempler les collines, qui virent du vert et ocre au rosé et doré selon l'inclinaison de la lumière et les passages de nuages. Du temps qui s'étire à guetter aux jumelles de nouvelles espèces de mammifères (le guanaco, proche du lama andin), ou d'oiseaux (un canard gros comme une oie, qui nage et ne vole pas) et rencontrer un couple de dauphins extraordinaires, agiles et véloces, vêtus d'une sorte de smoking au noir parfait et au blanc immaculé. Nos pensées volent vers l'Europe à la recherche de toutes les Hélène et Elena que nous connaissons.
Au midi du troisième jour, le vent tourne, nous invitant à reprendre la mer jusqu'à la prochaine caleta, où nous envisageons de passer quelques jours.
Sir Cosmos et Dame Nature nous font alors un beau cadeau : une après-midi de brise favorable, régulière et sans houle, conditions rares et idéales pour sortir le spi (2).
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Le système de mouillage comporte une ancre, une chaine de cinquante mètres et un câblot textile qui permet d'allonger le mouillage au-delà des cinquante mètres. Tout avait besoin d'être testé avant le grand sud. L'ancre avait été détordue à La Paloma après sa mauvaise rencontre avec un quai, et jamais utilisée depuis. Le câblot était neuf et nous avions épissé nous-mêmes la liaison chaine-câblot, une sorte de tricotage des brins de cordage dans les maillons de la chaine que nous faisons pour la première fois.
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A chaque fois que ces conditions-là se présentent, nous bénissons le donateur de la chaussette à spi, ce tube de toile long comme le mat, qui permet de déployer et refermer l'immense bulle du spi sans soucis.
Vous avez un modèle de bateau qui me fait rêver et vous narrer remarquablement bien vos aventures...
Merci de nous faire partager vos émotions.
Sam
Rédigé par : Sam | 21 janvier 2016 à 21:45