Juste sortis des limbes, reprenons trois petites notes non publiées à Puerto Natales, avant de poursuivre…
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Les installations « portuaires » de Puerto Natales sont spartiates au plus haut degré, quelques quais hérissant la rive sans offrir d'abri comme le feraient des jetées de port se refermant l'une vers l'autre. Sous certaines conditions, même les pêcheurs pourtant peu chatouilleux sur les conditions d'amarrage de leurs robustes embarcations quittent le quai comme une volée de moineaux pour aller chercher refuge ailleurs. A cause des vents violents que le seño Ultima Esperanza (1) canalise vers la ville, l'Armada chilienne peut à toute heure de la journée mettre fin à toutes les opérations de débarquement et d'embarquement, quelle que soit la taille du bateau et sa cargaison, en déclarant la fermeture du port à la VHF à l'intention de tous les navires. Chaque bateau en rade doit alors confirmer réception du message radio et Ariel s'acquittera le moment venu de notre obligation avec une nonchalance magnifique, en employant un terme dont il ne connait que la phonétique mais qu'il a souvent entendu utiliser par les pêcheurs entre eux : « cuisele » qui semble vouloir dire « bien reçu ». C'est ainsi que mon homme étonne souvent ses interlocuteurs, en jetant sur les ondes des expressions trop bien de chez eux pour être utilisées par un étranger. Il a aussi tendance à échapper à la contrainte des protocoles restreints de la radiotéléphonie internationale, protocoles à vocation exclusivement sécuritaire, en insérant un peu de bavardage dans l'échange, en blaguant ou en souhaitant bonne chance à ses interlocuteurs invisibles (2), ce que les étrangers ne font pas non plus, habituellement. Les opérateurs radio sont moins amusés quand c'est moi qui parle dans le micro, mais ils restent fort aimables bien qu'ils aient souvent tendance à m'appeler señora, tandis qu'Ariel a droit à la dénomination de capitan.
Les installations sont si spartiates que nous n'aurons pas la permission de nous amarrer à quai au-delà des premières heures, le temps d'aller faire nos formalités d'arrivée. Le responsable du quai de pêche craint les dommages que des pêcheurs un peu rudes à la manœuvre dans cet espace réduit et congestionné d'embarcations pourraient causer à notre fragile esquif. Il nous repousse au mouillage à quelques dizaines de mètres de là, exposés à tous les vents. Dommage, nous aurions bien aimé côtoyer d'un peu plus près la population invraisemblable de professionnels de la pêche et des métiers périphériques rassemblés ici par la saison, pour causer un peu des méthodes de pêche et glaner quelques oursins frais à l'occasion. Pressés par le temps car nous savons que le calme ne va pas durer, nous prenons conseil auprès du premier soudeur rencontré sur ce quai, lui montrant à bout de bras le foyer ébréché de notre cher poêle, que nous n'osions même plus tenter d'allumer depuis deux jours tant il envoyait de la lumière là où il n'aurait pas dû. Premier conseil, premier atelier, premier espoir face à un visage qui semble dire que c'est réparable, mais qu'il ne peut s'en occuper avant une semaine, tant il a de travail. Qu'importe la semaine d'attente, si l'espoir d'une réparation est au bout ? Un type ainsi surchargé de commandes doit être bon, imaginons-nous. Nous ignorons que huit jours plus tard les premières tentatives de soudure vont révéler l'impossibilité de réparer et nous coincer dans les affres de mauvaises décisions à prendre pendant que les températures nocturnes descendront méthodiquement vers zéro. Entretemps, le vent revenu en force nous ayant obligé à bouger, nous passerons cinq jours consignés à bord de l'autre côté de la rade, frustrés de la présence de la ville toute proche mais inaccessible, dans laquelle nous avons tant de choses à faire et l'espoir de rencontres intéressantes, pour finalement nous résoudre à suivre les conseils des guides nautiques et trouver, loin au nord de la ville, à quatre heures de voile de là, un abri moins précaire et d'où il sera possible de mettre pied à terre.
- En 1557 la première expédition à découvrir cette région, accessible seulement à travers l'un ou l'autre de deux goulets étroits dans lesquels on pourrait hésiter à s'engager, l'a nommée Ultime Espérance, car elle était à la recherche d'un raccourci vers le détroit de Magellan qu'elle désespérait de trouver. Le seño Ultima Esperanza est magnifique mais ne débouche sur rien d'autre que la montagne, encore la montagne, toujours la montagne.
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« Bonne chance à vous aussi, la mer est dure pour tout le monde !» affirme-t-il depuis notre microscopique Skol au pilote chilien d'un énorme cargo. Ou bien il évoque la bière brésilienne en épelant le nom de notre bateau pour la transmission de notre position. Il leur souhaite bon appétit ou bonne sieste, selon l'heure.
"cuesele" nous aussi nous nous sommes longtemps demandé ce que c'était, jusqu'a ce que Miguel, le fameux routeur BLU du sud nous explique : QSL... en espagnole. C'est donc le fameux QSL du code Q qui est utilisé, un peu à tord, pour dire "bien reçu". Dans la bande originale QSL désigne la vacation radio dans son ensemble. On dit : j'ai fait un QSL avec X.
On vous suit d'Angra où nous sommes à l’arrêt pour une lombalgie tenace de Caroline, livré au main d'un rebouteux local... On va rater la saison pour remonter vers les Açores... le doute étreint.
On vous embrasse.
Rédigé par : voilier Loïck | 05 juin 2016 à 19:28
@ Hugues : merci pour l’explication, nous on était en pure phonétique. Mais ce jargon, on n'est pas sûrs de bien comprendre. Code Q ? Utilisé à tord ? Tant qu’on reste au dessus de la ceinture, ça va!
Nous aussi on vous suite sur votre route vers le nord, de l’autre coté du continent, nettement plus au nord. Ca avance pas bien vite, on dirait que quelque chose vous freine….
Histoire de nourrir le doute, il y a de belles rencontres à faire aussi au chili et la géographie vaut vraiment le détour. Cela dit, y’a plus de saisons ! On a eu trente jours sans pluie ici, la France est inondée, alors pour la remontée vers les Açores, vous verrez bien.
Bises à vous deux, et courage à Caroline avec son dos.
Rédigé par : Isabelle | 08 juin 2016 à 04:56