Non, nous ne nions pas la réalité des violences physiques parfois sanglantes qui traumatisent bien des argentins et des brésiliens. Nous souhaitons ici évoquer d'autres aspects de la société qui nous semblent bien plus fréquents, bien plus présents et également fort dommageables au bien commun et au développement du pays. Ces traits de la société que nous choisissons d'appeler violences sont qualifiées par certains de « mal nécessaire », voire considérées comme bénéfiques - pour notre sécurité, notre confort - ou bien sont tout simplement assimilées comme un état de fait immuable. Elles sont même parfois présentées comme la réponse proportionnée à la violence des « autres », dans une logique qui tourne en rond comme la poule et l'œuf : qui a commencé le cycle des agressions ?
Il y a ce que nous qualifions de violence symbolique que les gens très riches exercent à l'encontre des moins fortunés qu'eux, et j'utilise ici le mot fortune au sens de chance, car la richesse n'est pas une question de mérite, mais une question d'abord de naissance, donc de chance. Quel message représente par exemple l'acte de se loger dans un « condominium », derrière de hauts murs surmontés de barbelés électrifiés, fermés par une barrière que garde un individu payé pour vérifier votre droit à approcher ? Quel message sinon : « Dehors ! On ne veut pas vous voir ! » ? Que signifient les tarifs exorbitants pratiqués par les « yacht clubs » dont dix pourcent des membres seulement naviguent, sinon une tactique d'exclusion par l'argent, une manière de rester entre soi, entre riches, surtout pas au contact des moins aisés ? Cette façon qu'ont les nantis de s'isoler du reste de la population par des barrières, matérielles, humaines ou économiques n'est-elle pas une violence en elle-même et une provocation à la violence ? Ces grands pays agraires ont échoué dans toutes leurs tentative de redistribuer la terre dont la propriété reste effroyablement concentrée entre les mains de quelques grandes familles et industries. Qu'est-ce que cette résistance, cet arc-boutement des possédants qui usent de toute leur influence pour enrayer le processus de redistribution ? Et je ne parle pas de la violence bien réelle que rencontrent les mouvements des « sans-terre ».
Il y a la violence potentielle affichée des services de sécurité omniprésents. Que des hommes de sécurité circulent par équipe de deux dans le métro de Rio à onze heures du soir est normal. Que des gardes armés et protégés d'un gilet pare-balle escortent les transports de fonds est compréhensible. A l'entrée d'une petite banque locale, en plein jour, vous barrant l'accès à une simple opération de change, c'est déjà plus dérangeant pour nous. Mais que font-ils à l'entrée d'un supermarché ordinaire, d'un simple magasin d'électroménager, à l'entrée du bureau de la compagnie nationale de télécommunication, dans une petite ville de province ? Que font-ils à l'entrée d'un yacht-club, même huppé, à onze heures du matin? Comment ces compagnies privées de « sécurité », dont les effectifs totaux en Amérique Latine sont supérieurs à ceux des polices s'y prennent-elles pour convaincre tant d'institutions de la nécessité permanente, quotidienne, de leurs services ? Est-ce qu'elles brandissent leur argument commercial là où un incident s'est produit ou bien vendent-elles du préventif comme de la poudre d'éléphant ? (1) En tout cas leur présence entretient nettement le sentiment d'insécurité. Je veux dire que leur seule présence nous rend nerveux, réactifs, voire paranoïaques. On se croirait en France sous plan Vigipirate, une inquiétude plane.
Il y a ce que nous ressentons comme une violence supposée-soupçonnée des autorités. Celle de la police qu'il ne faut, dit-on « jamais laisser entrer chez soi quelle que soit la raison de leur visite, de peur qu'elle ne fasse du repérage de tes possessions en vue d'indiquer l'adresse à des cambrioleurs ». Quelle part de vérité recouvre cet avertissement qui nous a été énoncé plusieurs fois ? Police corrompue ou manque de confiance en la police entretenue par les médias ? Celle des corps armés autorisés à exercer un véritable contrôle sur vos déplacements au nom d'une soi-disant sécurité. Je parle ici des différentes marines nationales auprès desquelles nous devons, depuis huit mois, signaler le moindre de nos déplacements. C'est comme si chaque bateau quittant un port français devait au préalable demander l'autorisation aux Affaires Maritimes. On crierait à l'atteinte aux libertés de mouvement. Ici, il plane un doute comme une menace, sur les conséquences réelles d'une infraction à leurs exigences parfois ubuesques (2). Certains étrangers nous disent de ne pas nous en faire, que « la Prefectura Naval est un animal à plusieurs têtes qui ne parlent pas entre elles », et qu'on aurait donc pu reposer deux heures plus tard la question pour voir si la réponse était la même. Les mêmes exigences pèsent sur les mouvements des voiliers locaux, mais ceux-là semblent avoir accepté l'argument « pour votre sécurité » qu'on leur sert, bien qu'il soit illusoire.
Il y a la violence faussement joyeuse du commerce libéralisé. Celui qui vous assaillit d'injonctions à consommer. Celui qui vous dénie le droit à savoir ce que vous mangez ou achetez, tant les informations fournies sont rares ou écrites en si petits caractères, voire mensongères. Celui qui n'affiche pas les prix, change les prix du simple au double du jour au lendemain ou d'un côté à l'autre de la rue. Celui qui vous vend un service téléphonique sans vous donner le tarif, service qu'il faut être ingénieur pour comprendre car les compagnies se tirent la bourre entre elles sans coopérer, à croire même qu'elles se sabotent l'une l'autre, tant on a du mal à obtenir le service certains jours. La pression commerciale vient principalement de deux grandes forces. D'un côté les multinationales nord-américaines et européennes qui tentent de préserver leur emprise sur le marché latino-américain, d'autre part le petit commerce de détail, typique des pays sous-industrialisés, dans lesquels le commerce est une des rares solutions pour s'en sortir. Les riches paient souvent des prix exorbitants pour des produits importés, les pauvres paient quotidiennement des prix abusifs pour des marchandises qu'on leur vend en toute petite quantité. Et nous, nous passons des heures à lire les étiquettes minuscules pour chercher en vain un yaourt exempt de sucre, un biscuit sans huile de palme. Ne parlons pas des OGM, qui n'ont ici aucune obligation d'étiquetage. Qui parle de sécurité alimentaire ?
Il y a aussi une espèce de violence perverse des politiciens qui promettent tout avant chaque élection sans se sentir pour autant engagés. La trahison des élus qui lancent de beaux programmes avec effets d'annonce, lesquels programmes sombreront souvent vite dans l'oubli ou seront détournés au profit de quelques-uns qui justement n'en ont pas besoin. L'inconstance des gouvernements qui font table rase des réformes du gouvernement précédent, pour le principe, au point que plus personne ne sait quelle sera la législation dans quelques années, quelques mois. Le culte des personnalités qui polarise la vie politique à un degré absurde. En argentine, il semble qu'on doive absolument être soit péroniste, soit anti péroniste, sans pour autant que le projet de société sous-jacent à ce choix puisse être énoncé. Il faut dire que Perón a un bilan contrasté, entre la modernisation du pays (3) et l'accueil des dignitaires nazis à cette extrémité de la « ratline » (4). Et bien entendu la corruption, l'évasion fiscale et la fuite des capitaux que tolèrent et dont se rendent coupables, semble-t-il, un nombre élevé d'élus et de hauts fonctionnaires. Ces pratiques privent ces pays de leviers de développement et les asservissent d'autant plus aux emprunts extérieurs, investisseurs étrangers, qui sortiront encore plus d'argent du pays sous forme d'intérêts d'emprunt ou de bénéfices remontés vers des comptes à l'étranger, minant encore plus l'effort de développement. Dans des pays où le taux de pauvreté est encore si élevé, ces comportements sont à nos yeux criminels, et participent à l'ambiance générale de non respect des lois, d'indifférence pour le bien collectif qui font le lit d'autres violences et incivilités. Nous avons remarqué qu'en Argentine, le terme «délinquant » désigne aussi bien un suspect de vol à main armée, un narcotrafiquant condamné par la justice, un journaliste véreux, un politique corrompu. Mais le recyclage politique permettra ici comme ailleurs à un élu discrédité de revenir quelques années plus tard auréolé d'une nouvelle virginité, insulte à la mémoire du peuple. Certains esprits vigilants voient même le risque d'un autre recyclage politique : dans le sillage de la crise économique provoquée et entretenue par les élites inciviles, des agitations populaires pourraient ramener la situation à ce qu'elle était avant l'arrivée des militaires et surgiront alors des candidats à la mise en œuvre de solutions du même type.
Oserons-nous dire que ces deux pays, entre le massacre initial, fondateur, des populations indigènes, l'écrasement dans le sang du Paraguay indépendant (5), la récente histoire des gouvernements militaires tortionnaires et l'actualité sociale et politique agitée sur fond de crise économique, nous semblent avoir un rapport à la violence fait de réalités historiques et contemporaines, mais aussi de récupérations médiatiques et de tabous (6), de blessures et d'idées reçues, de peurs et d'impuissances ?
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Un vieux monsieur jetait par la fenêtre d'un train circulant entre Lyon et Paris une pincée de poudre toutes les heures. A la jeune femme qui lui demanda ce qu'il faisait, il répondit qu'il protégeait ainsi le train contre une attaque d'éléphants. « mais il n'y a pas d'éléphants ici ! » S'exclama la jeune femme. A quoi l'homme répondit « Vous voyez comme ma poudre est efficace !».
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Pas d'autorisation de sortir du port de Mar Del Plata pour quelques heures seulement sans déposer à la Prefectura, avant le départ et de nouveau au retour, une liste de passagers avec numéros des passeports. Jusqu'à deux heures d'attente à chaque opération, pour quatre heures de navigation, non merci. A nous autres européens habitués à une grande liberté de mouvement, le niveau de « fliquage » semble anormal, semble un abus de pouvoir des successeurs des militaires-dictateurs qui tentent de prolonger leur contrôle sur la société, de justifier le maintien de leur budget.
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Développement des infrastructures et de l'éducation par exemple.
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Le docteur Mengele et d'autres criminels de guerre ont été accueillis et munis s'ils le souhaitaient de fausses identités par une Argentine complaisante.
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La guerre de la triple alliance a uni, sous la pression du dominateur britannique, les trois états du Brésil, de l'argentine et de l'Uruguay dans un massacre honteux de la population Paraguayenne qui avait le culot d'avoir développé une société égalitaire prospère indépendamment des grands colonisateurs (et c'est justement parce que ce développement était indépendant des colonisateurs qu'il avait réussi). Quatre-vingt pourcent de la population mâle du pays a été tuée en quatre ans. Que reste t'il d'un pays après ça ?
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Comme les Etats Unis ont fondé leur prospérité sur l'esclavage et peinent à le reconnaitre, l'Argentine a fondé sa prospérité sur le massacre des indigènes pour l'accaparement des terres au profit de quelques grandes familles. Elle nous semble fort silencieuse sur ces éléments de son histoire. Au commencement était le propriétaire terrien d'origine européenne ? Plus tard, dans le sillage des guerres européennes, elle s'enrichira en fournissant au prix fort la viande et le cuir aux armées qui s'entredéchirent. On pense parfois que l'élevage est une activité pacifique ? Et puis il y aura le trésor nazi, celui qui devait servir à reconstruire le Reich de Mille Ans et finira par alimenter le trésor Argentin, moyennant un droit de regard sur la politique du pays. Fonds mal acquis des entreprises amies du régime nazi, dont la migration vers l'argentine s'est décidée un soir de 1943 à Strasbourg, dans la Maison Rouge de la place Kleber et dans le plus grand secret. Même destination que les criminels de guerre et industriels coupables redoutant la justice alliée une fois la guerre finie. Ils seront tous accueillis avec discrétion par Perón, grand admirateur de Mussolini. Sur l'origine et l'usage de ces fonds considérables, qui s'exprime, hormis quelque obscur film documentaire français vite tombé dans l'oubli ? Dans l'oubli comme les archives effacées.