Depuis bien longtemps, j’avais envie de découvrir ce matériau, qui me semblait, pour des raisons mystérieuses, adapté aux projets écolos-décroissants, bien qu’un tantinet sulfureux tout de même vu la taille des gants dont il faut s’équiper pour le manipuler. Voilà, maintenant je sais plein de choses, par ma tête et par mon corps. Le projet était d’enduire les murs de la cuisine collective de Brangoulo. Ce chantier avait plein d’objectifs combinés et cumulés, ce qui en a fait une expérience très intense, qui n’est d’ailleurs pas terminée.
Le bâtiment est ancien, les murs sont faits de pierres du coin, maçonnées à la terre crue, du coin également. Autrefois les maisons étaient construites en circuit court ! J’ai donc appris, au cours de la demie-journée de théorie qui a précédé la mise en route de la bétonnière, quelques principes fondamentaux des bâtiments anciens. La gestion de l’humidité, notamment , et donc l’importance des matériaux poreux, qui permettent à l’humidité de s’équilibrer, et de se diffuser au lieu de la bloquer ou de la concentrer. Le ciment est étanche, la chaux est poreuse. Derrière les enduits au ciment qui ont été posés sur ces murs il y a quelques décennies, l’humidité a fait son œuvre, en réussissant par endroit à s’accumuler suffisamment pour dissoudre les joints de terre. Lorsqu’un joint perd de son épaisseur, c’est l’appui des pierres les unes sur les autres qui est modifié de proche en proche, parfois sur de grandes distances. Bref. Le ciment sur un mur maçonné à la terre est une hérésie. C’est un savoir théorique que j’avais déjà croisé mais jamais intégré. Comme dans bien des domaines, rien de tel que de voir physiquement la chose pour l’assimiler. Donc la chaux, poreuse, est compatible.
En réalité, la chaux dans un enduit intérieur n’est pas tout à fait indispensable. On pourrait se satisfaire d’un enduit à base de terre crue. Mais il s’agit d’une pièce collective, d’une cuisine qui plus est, donc la dureté superficielle et la résistance aux éclaboussures que confère la chaux est intéressante dans cette pièce-là. Autre motif d’utilisation de la chaux : une recherche de montée en compétence pour le collectif de Brangoulo avant d’attaquer les nombreux enduits et joints extérieurs dont chacun des bâtiments risque d’avoir besoin. En extérieur, on évitera de laisser la terre crue exposée à la pluie, au risque de voir ses murs se dissoudre ! (1)
S’agissant d’une pièce qui était en utilisation, évidemment, le chantier proprement dit a été précédé d’une quinzaine de jours de gros travaux de déménagement de la cuisine dans une pièce voisine, avec cogitations brassées sur la future réimplantation et quelques jours de marteau-piquage poussiéreux pour dézinguer ce qui restait des joints en ciment, en maints endroits. Il fallait bien s’assurer qu’on retrouvait la vielle terre crue pour assurer l’accrochage du nouveau joint et la circulation d’eau future.
Le stage lui-même n’a duré que deux jours, dont une première matinée de théorie, mais les quinze participant-es étaient toustes si motivé-es que les choses ont pris l’apparence d’une bataille tellement il y avait de coudes à coudes, de gestes croisés, d’éclaboussures, de bruits de ferraille et de transpiration. Je job a été fait, le formateur mandaté par l’association Tiez Breiz a conduit la troupe avec un brio époustouflant, tantôt nous poussant à la vitesse « allez ; n’hésitez pas, faut y aller , on a encore trois tonnes de mortier à balancer » tantôt stoppant tout le monde pour la démonstration d’un geste particulier « voilà comment on fait les coins intérieurs, voilà pour les coins extérieurs ».
J’ai pour ma part vécu de grands moments de solitude humble, lorsque mon jeté de truelle, au lieu d’aboutir à un pâté de mortier bien accroché au mur se soldait systématiquement par une crotte explosée et éclaboussée ou bien le pâté glissant au sol sans grâce après avoir fugacement tenté de coller au mur. Il m’a semblé ne pas être la seule à me trouver contrariée par les limites de l’obéissance de la matière molle. Et encore, et encore, jusqu’à ce que, petit à petit, la proportion de mortier restant au mur dépasse celle se retrouvant au sol ou sur l’épaule des voisins. Puis-je partager combien ce geste, lorsqu’il commence à être maîtrisé, est jouissif ? Et comment décrire la sensation de puissance collective qui se dégage lorsqu’au fil des heures, le pas de recul nous révèle la vitesse à laquelle la pièce se transforme par l’effet combiné de toutes ces énergies en action.
Ma frustration s’est un peu apaisée à la fin du second jour. Pas tant à cause des progrès de mon coup de poignet que parce que la dernière heure a été consacrée à cuisiner des mélanges avec une grande variété de sables, apportés en petites quantités par les stagiaires. Alors, nous avons pu constater, de visu et du toucher de truelle, combien divers est le comportement des sables dans de tels mélanges et combien particulièrement difficile à mettre en mortier était celui que, par ignorance, nous avions approvisionné à la tonne dans les jours précédant le chantier. Du sable, c’était du sable, non ? Ben non, en fait. Mais la qualité du résultat final, malgré ce sable peu coopérant (2) a prouvé qu’on pouvait s’en sortir, dès lors qu’on comprend comment ça fonctionne. Plus qu’une recette, le cliché du un-pour-trois, qui signifie un volume de chaux pour trois volumes de sable, nous avons appris cette cuisine-là : l’observation du mouillé et du lissé, le bruit que fait la truelle, la tenue du pâté, le collant, et avant cela l’examen visuel et au touché de la taille et de la composition granulaire du sable, pour s’assurer de la présence de l’ensemble du spectre. (3)
Nous allons maintenant laisser à la chaux le temps de durcir, quelques semaines pour la fraction hydraulique, quelques mois pour la fraction aérienne. Avec le séchage, apparaissent des différences de teinte, traces plus claires par endroits, démasquant nos dilutions finales du badigeon. C’est une erreur de débutantes (4) qui sera réparable par un nouveau badigeon. On en profitera pour accentuer un peu plus la teinte, pour donner un cachet plus chaud à la pièce.
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J’en ai constaté le mécanisme sur la façade ouest de la maison d’Alejandro et Paula, en Uruguay il y a quelques année. C’est étrange de voir un mur grignoté petit à petit par les intempéries sans que cela cause de panique aux habitants, car le processus est assez lent pour qu’on ait le temps d’organiser un petit chantier de recharge. A l’époque j’ai cru comprendre qu’il allait rajouter de la « lima » dans le mélange pour améliorer sa résistance à la pluie, bien qu’il n’approuve pas ce produit. Il regrettait de ne pas avoir accentué plus le surplomb de sa toiture comme méthode de protection du mur.
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Les plus gros grains dépassaient les 4mm, le profil manquait de grains intermédiaires, et la structure de surface rugueuse rendait difficile l’effet d’enrobement par le liant, obligeant a augmenter la dose et à prolonger le malaxage.
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L’association Tiez Breiz vise à rendre les participants à ses stages autonomes et capables d’utiliser leurs propres matériaux, au lieu d’aller acheter au magasin de bricolage un sable lavé et calibré, spécialement fait pour les ciments et par vraiment adapté au travail manuel et à la chaux.
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Le formateur n’y est pour rien, c’est arrivé après la fin du stage, nous avons mal estimé la réserve de badigeon à garder pour les dernières touches et l’effet éclaircissant des dilutions n’était pas visible au stade mouillé.
Photos : Léa et Christine
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