Aucun sondage n’explore la question, donc je me demande, sans trouver la réponse : combien de nos compatriotes sont inquiets du manque d’eau dans les sols en ce printemps ? Combien sont conscients de la situation ?
Dans mon entourage, plus personne ne peut prononcer l’expression « beau temps » sans recevoir de ma part une interpellation sur la signification de « beau ». Sa relativité. Son caractère situé. Sa propension, dans notre société urbaine moderne, à refléter le point de vue des loisirs.
Souvent mon interlocuteurice persiste un instant, - tout de même, c’est agréable de déjeuner dehors, et la lumière est belle. - Mais s’il n’y a pas assez d’eau pour les plantes ? Grimace gênée. J’essaie d’être légère, en tout cas plus modérée que ce que je ressens, car il faut du temps pour déconstruire l’idée du temps sec et ensoleillé comme un fait toujours plaisant. Eh non. Ce n’est plus une denrée rare et ce n’est certainement plus une denrée dont la beauté serait proportionnelle à la quantité. Plutôt le contraire, par les temps qui courent. Après la pluie, le beau temps ? Après pas de pluie, pas de beau temps !
Dans les collectifs à intention agricole que je fréquente, cette partie de la discussion est passée, assimilée.
A Rangarnaud, l’alerte que j’ai envoyée lors de notre rencontre de mars a été entendue. Je demandais alors qu’on se prépare à aborder la probabilité d’un été sec avec des solutions d’irrigation opérationnelles pour les arbres plantés ces deux dernières années. Des solutions basées sur l’eau de pluie. Je ne nous voyait pas irriguer tout cela avec de l’eau potable, alors que le site dispose d’une réserve de quarante mètres cube, alimentée par les vastes toitures de la grande et de l’étable. L’an dernier, nous avons eu de la chance, il y a eu assez d’eau du ciel pour que les arbres plantés pendant l’hiver traversent l’été sans trop de dégâts. Mais ils ne sont pas très développés et la nouvelle fournée plantée en février n’aura probablement pas cette chance. Je ne pensais pas que nous aurions besoin d’irriguer dès le mois de mai. Nous n’avons pas été pris trop au dépourvu. Des calculs avaient été faits, des questions techniques soulevées et explorées, un dispositif semi-professionnel dimensionné et un dispositif low-tech imaginé. En avril nous avons fait le point et décidé de tester le low-tech. En mai ce n’est plus un test, c’est en train de devenir une routine. Elle fonctionne, nous avons de quoi passer l’été en abreuvant raisonnablement nos arbres. Ca ne durera pas éternellement, ce besoin d’eau pour les arbres, car la zone « foret comestible » va se développer, les arbres vont prendre hauteur et ampleur, leurs racines s’installeront profondément, les plus grands feront de l’ombre aux plus petits et au final, un micro climat se mettra en place. Mais pour en arriver là, il faut d’abord aider.
A Brangoulo, le maraîch’ est déjà équipé d’un système d’irrigation complet, mais sa remise en service, prévue au printemps, n’était pas finalisée quand les premiers semis extérieurs et les premiers repiquages en pleine terre ont été réalisés. Le déficit hydrique se faisait déjà sentir en avril, même en Bretagne. Le réflexe de saisir l’arrosoir plutôt que se pencher bien vite sur les questions de pression, filtration et programmation des électrovannes a coûté à l’équipe des heures de plus en plus longues de portage d’eau, jusqu’à l’absurde. Dont acte. Tout le monde sait désormais qu’il faut que l’irrigation soit au point avant la fin de l’hiver et non plus avant la fin du printemps. Les activités agricoles nouvelles que j’ai engagées en mai ont bénéficié rapidement d’une extension de tuyauterie ad’hoc, et d’un créneau horaire le soir. Sinon, je n’aurai pas pu faire certains semis. Et là aussi, en mon absence, quelqu’un se chargera des jeunes arbres du bosquet comestible que nous venons de planter.
Ces dispositions techniques et organisationnelles ne suffisent pas complètement à apaiser en moi les résurgences d’une inquiétude que je connais déjà. Celle de la fenêtre météo qui tarde et qu’on croit ne plus jamais revoir. Pendant ma vie de voyage, je devais recourir à toutes mes ressources de raison pour me calmer. Mais dans ma nouvelle vie agricole, j’ai tellement moins de certitudes. Il me semble au contraire très rationnel d’avoir peur. Le climat change irrémédiablement. Celui que nous avons connu pendant notre enfance ne reviendra jamais. Les tables de dates de semi deviennent moins fiable, de la même manière que les pilot charts de mes années navigantes perdaient de leur pertinence pour prendre des décisions. Il est plus que jamais nécessaire de diversifier nos pratiques, tester des séquences et des espèces nouvelles, planter des arbres et autres plantes vivaces, dont le système racinaire est moins exposé aux aléas. Mais je suis si jeune dans ce monde-là. J’ignore combien de temps les plantes peuvent attendre la vraie pluie quand la rosée du matin semble les rassasier. Je ne sais pas encore doser l’arrosage pour préparer les plantes à aller chercher leur eau plus profondément dans le sol.
Comme je suis soulagée d’être en collectif dans toutes ces expériences ! La charge mentale serait insupportable en solitaire.
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