Chacune des capsules sphériques contient six à dix graines, selon ce que j’ai pu compter. J’ignorais avec quel soin il fallait les manipuler, si elles risquaient d’éclater seules et de perdre la semence dans un mouvement brusque, comme les lentilles ou le blé quand ils sont à maturité complète. J’ignorais même à quoi ressemble la maturité complète de cette plante. Maintenant j’en sais un peu plus.
On ne peut pas récolter la graine de lin en fermant la main sur la tête et en tirant, comme je fais avec la moutarde, ou avec l’avoine. Ca ne marche pas. Les graines sont trop petites et glissantes, elles filent entre les doigts.
On ne peut pas récolter la graine de lin en coupant juste la tête d’un coup de sécateur ou de faucille crantée, comme le blé. Ca ne marche pas. Les capsules sont trop dispersées sur trop de brindilles et à trop de hauteurs différentes. On y perdrait la moitié de la fibre.
Mais quand je saisis une poignée de tiges à mi-hauteur et que je tire vers le haut, elles se déracinent assez facilement en abandonnant tout ce qui est plus profond que quelques centimètres. Alors j’assemble des gerbes bien alignées qui se laissent transporter facilement vers un drap dans lequel je les couche en attendant d’inventer l’étape suivante.
Je craignais de perdre les graines si je transportait les gerbes sans un drap pour collecter les échappées. Et j’ai donc passé ainsi quelques jours à les sortir au soleil le matin et les rentrer le soir dans leur berceau de tissus. Puis j’ai tenté diverses manières de récupérer les graines sans abîmer les fibres. Des manières très délicates au début. Détacher les capsules presque une à une. Puis par poignées. Puis les frotter entre mes paumes pour les écraser directement au dessus d’un seau.
A force de les manipuler, je découvre à quel point les capsules sont bien accrochées à leurs tiges et à quel point les tiges et les capsules sont bien solides. Mes précautions du début étaient excessives. En vrai je peux manier les gerbes sans crainte de perdre les semences. je peux enfourner une grosse gerbe tète en bas dans une poubelle et pilonner les extrémités en tordant un peu les tiges sans que cela abîme les fibres.
La graine est si petite et si fluide que je craignais, lors des premiers essais de vannage, qu’elle ne parte dans le vent avec la balle. J’ai donc commencé mes vannages très bas, augmentant progressivement la hauteur du tombé, jusqu’à constater que la graine coule tandis que la balle s’envole, et que les capsules encore pleines tombent elles aussi, me laissant une nouvelle chance de les écraser au pilonnage suivant.
J’aurai pu apprendre tout ça directement auprès d’un-e agriculteurice expérimenté-e ou le déduire des vidéos montrant les machines de récolte, que j’ai visionnées avec attention. Mais j’aime particulièrement cet apprentissage par le geste, par les mains, les yeux, l’expérience, les essais. Belles sont les heures que j’ai passées à découvrir le soin, la pression, la patience, qui donnent cette graine riche en corps gras, directement utilisable en cuisine. Agréable est le sentiment de cheminer dans cette découverte d'une nouvelle récolte, en me sentant déjà riche de savoirs acquis en quelques saisons de tâtonnements avec le blé, le seigle, l'épeautre, le millet, le sarrasin, le sorgho, le quinoa. J'assume de mieux en mieux mon approche sensorielle, qui prend du temps mais me relie à la graine par un compagnonnage doux, gratifiant, méditant, contemplatif aussi.
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