Incroyable ! Je viens seulement de récolter mes derniers haricots ! Le 28 novembre ! Voilà ce qui découle du climat proprement extra-ordinaire de cette année. Un extra-ordinaire qui, selon les climatologues, deviendra un ordinaire d’ici au milieu du siècle.
Au plus chaud de l’été, les fleurs rouge des haricots dits « espagnols » , de leur vrai nom phaseolus coccineus , brûlaient sous le soleil, obligeant la plante produire de nouvelles fleurs, qui fondaient à leur tour sans avoir eu le temps d’amorcer une gousse, et ainsi de suite. Je n’ai pas pu compter le nombre de générations de fleurs que mes coccineus ont courageusement produites en juillet et août, à cause de mes migrations fréquentes, mais j’ai tenu à les suivre jusqu’au bout, à croire en eux. Ce sont des plantes très généreuses en beauté et en nourriture. Lorsque les températures ont baissé à la fin du mois d’août, elles semblent avoir explosé de joie exubérante, grimpant à l’assaut de mes bambous mal assurés, qui en perdaient l’équilibre, lançant des bouquets de fleurs en série qui cette fois ne flanchaient plus et, enfin, enfin ! produisant des gousses en grappes. Qui ont grossi plus que d’habitude. Au final une très bonne récolte. Donc ce n’est pas encore la fin du haricot à fleurs rouges et à gousse velue, tant mieux.
J’ai eu la chance de découvrir, par le réseau des « jardiniers sauvages », une approche de la semence aussi révolutionnaire que l’agriculture naturelle de Masanobu Fukuoka. L’initiateur de cette approche s’appelle Joseph Lofthouse et il oblige à désapprendre quelques fondamentaux agronomiques solidement ancrés. En particulier le culte des variétés, dont il souligne la pauvreté génétique, cause de nombreuses difficultés agricoles : fragilité et manque d’adaptabilité. Même les variétés anciennes, si respectées (1). Sa proposition, est de reconstruction de la solidité génétique par le brassage de dizaines de variétés différentes cultivées sans sélection pendant une ou deux saisons, avant de commencer à conduire cette population variée pour l’acclimater au terroir local, aux préférences et au parcours agronomique du jardinier, tout en préservant une grande diversité et une dynamique d’hybridation chaque année.
Un saut dans le vide, un laché-prise : on mélange toutes les variétés, on n’essaie plus de les suivre individuellement, on laisse mourir celles qui ne résistent pas et on fait confiance à la diversité et à la vigueur du processus d’hybridation pour s’adapter à notre manière de cultiver, à notre sol, à nos préférences et aux fluctuations climatiques présentes et à venir. Un rêve, un projet : dans quelques années j'aurai composé, élevé et acclimaté une population paysanne de haricots ne nécessitant ni traitement, ni protection, ni travail du sol pour produire bien et suffisamment diverse pour détenir la capacité à s'adapter aux changements futurs. Une appartenance, une identité : reconquérir un savoir faire millénaire, devenir gardienne semencière de légumineuses et faire lien avec d'autres, car la tâche est ample et de longue haleine, alors il faut la répartir.
- Charles Darwin avait identifié la différence de vigueur qui existe entre un lignage végétal « pur » et un lignage « hybridé ». Les hybrides sont plus vigoureux. Ou plutôt, puisque la nature elle-même ne génère pas de variété pure, sauf en de très exceptionnelles circonstances d'isolement, on peut dire que la vigueur des hybrides est en fait l'état naturel et que les non-hybridés, les variétés anciennes ou nouvelles pâtissent en réalité de dégénérescence congénitale à force d'être fécondées en "entre soi" variétal.
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