Les raisons que je donnais et me donnais à moi même pour expliquer mon élan récent vers l’activité paysanne et vers les collectifs étaient bien énoncées. Je voulais, premièrement, prendre mon tour dans la production de nourriture après avoir bénéficié durant tant d’années du fait que d’autres s’en chargeaient. Et deuxièmement, je voulais apporter mon intelligence au sein d’une intelligence collective, car je ne croyais pas en la capacité d’une seule personne à prendre les bonnes décisions pour avancer vers un avenir incertain et chargé d’inconnues. La combinaisons des deux m’orientait vers un lieu de vie collectif avec ancrage agricole, logiquement.
Une forme de limitation de la pensée me gênait pour formuler quelque chose de plus enthousiasmant, de moins mécaniste. Les limites de ma propre capacité à penser mon propre élan me gênent encore, d’ailleurs. On pense avec l’éducation qu’on a reçue, et mon éducation politique est encore bien légère. Le fait que je qualifie de « dérisoire » la portée de mon action personnelle reflète un malaise persistant, comme une insuffisance dans mon action mais aussi dans ma conception de la chose. Il se pourrait que la quasi-dépression qui flotte en moi et bouchonne au gré des vagues de la vie, soit liée à ce manque. Manque de concepts et manque d’horizon lointain.
Et voilà que mes oreilles rencontrent le podcast « Avis De Tempête », dont le titre me parle, d’abord en tant que navigatrice au long court, mais aussi parce que la tempête est la forme que prend la vie sur la planète terre. Un siècle de tempêtes (1), un siècle qui a déjà commencé. Les jeunes qui prennent la parole dans ces épisodes m’épatent. Par leur niveau de réflexion, leur positionnement, leur radicalité, et la cohérence d’ensemble de leur propos. L’épisode du podcast sur l’écofacisme en particulier me retourne les sens, car je reconnais certaines facettes de mon expérience des cinq dernières années (déjà cinq ans?) dans la description qui est faite des actions et motivations des survivalistes et de comment ce mouvement se trouve clairement rattaché à l’extrême droite. Ce sont justement des facettes qui me gênent, me semblent problématiques. L’entre-soi blanc-hétéro. Les aspirations à l’« autonomie » (2). Le niveau de confort des habitats « écologiques ». L’attente d’une « sécurisation » financière, par des clauses de départ protégeant l’individu plus que le projet collectif.
Il y a quelques temps que j’ai déconstruit en moi ce que je croyais être un besoin de construire un îlot de subsistance, un refuge pour moi et mes proches. Je cultive désormais, non pour produire de quoi mettre dans nos assiettes cette année, mais pour explorer des espèces végétales et pratiques culturales qui pourraient fonctionner encore dans vingt ans, dans un climat différent et avec moins d’énergie disponible. Et mon idée n’est pas d’en faire un business mais d’en faire une ressource, pour mon collectif d’appartenance, mais aussi et surtout pour une communauté élargie. Un moyen d’émancipation pour moi-même, ma tribu, mon réseau, mais aussi pour toute personne qui le souhaitera.
C’est l’ensemble de notre action collective que je voudrais interroger à ce niveau de conceptualisation. Je ne suis pas dans cette démarche d’écolieu pour nourrir et protéger les enfants des membres du collectif ni pour procurer aux membres adultes une retraite à l’abri de la misère (3), même si ces deux composantes seront bien volontiers un bénéfice collatéral. Je voudrais penser mon action avec une longue portée temporelle et spatiale dans tout ce que je fais. Penser l’autoconstruction pour me loger mais aussi pour rendre ça possible à d’autres, nombreux, moins argentés que moi. Penser nos expérimentations en gouvernance partagée comme un moyen de prendre nos décisions mais aussi des décisions collectives au-delà et autour de nous, sur le territoire. Penser notre organisation de vie collective comme un tricotage pour nous rendre la vie fluide et agréable mais aussi pour permettre aux personnes qui nous fréquenteront ou nous rendront visite, d’avoir une relation fluide et agréable avec nous et de trouver inspiration pour leur propre organisation collective.
Pouvons nous envisager que chaque aspect de notre pratique en tant que groupe ait pour horizon de prendre une place utile dans le territoire, à la mesure de nos capacités ? Que notre potager serve à nous nourrir et nous former mais aussi à fournir des semences génétiquement compétentes à qui voudra les cultiver, et un lieu pour apprendre à cultiver avec peu de machines ? Que nos métiers aient vocation à nous procurer l’argent nécessaire mais aussi à rendre des services socialement utiles?
Cette conceptualisation de notre cheminement n’est pas une charge de plus que je voudrais mettre sur les intentions et activités du groupe, mais plutôt une intention à longue portée. Aucune ambition en termes de vitesse ni d’ampleur, juste un cadre conceptuel élargi.
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Une formule de Pablo Servigne ou bien Cyril Dion, je ne sais plus. Mais que j’ai faite mienne.
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La question de l’autonomie dans les écohabitats fait partie des aspects les plus embêtants à déconstruire.
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Qui fixe le niveau de la misère ?
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