Pendant mon parcours de candidate à l’installation agricole je suis tombée, en 2022 je crois, sur un petit fascicule intitulé : Appel à Constituer des Greniers des Soulèvements », sous-titre : « Répondre à la dépossession et à l’isolement ». J’ai trouvé le projet très idéaliste, utopiste, mais enthousiasmant, convaincue du caractère crucial de la bouffe. Ben oui, les gens qui luttent au front, il faut qu’ils mangent.
Il existe donc des cantines de lutte, capables de préparer des centaines de repas matin et soir, avec tout ce que ça implique en approvisionnement, planification, organisation des tâches, recrutement de bénévoles, gestion du matos. Ces cantines vont sur les piquets de grève, sur les villages de l’eau et autres rassemblements militants. Elles récupèrent des surplus paysans ou achètent aux producteurices du coin, et proposent des repas à prix libre, dont elles tirent la plupart du temps un surplus financier, étant donné que la main d’oeuvre est bénévole et les mangereuses trop content-e-s de n’avoir qu’à se mettre les pieds sous la table. Le surplus financier alimente des projets: compléter l’équipement de la cantine, financer un achat de sono, et autres investissements de lutte.
L’idée développée dans le petit fascicule est de lancer la mise en place d’un réseau de ravitaillement dans tous les territoires, et que ce réseau dispose de moyens de produire et stocker de la nourriture indépendamment des systèmes commerciaux de distribution. Dans le Mervent, une aire géographique qui va de Vannes à Concarneau et jusqu’au centre Bretagne, il y a actuellement quatre greniers, quatre lieux de production soit privés soit accolés à une exploitation maraîchère. Le plus petit est celui de Moelan-sur-mer, c’est celui auquel je participe principalement. Par ce biais, je suis entrée en soutien actif aux luttes, après les avoir juste suivies sur les boucles télégram.
Produire la nourriture pour l’année en cours, c’était pas trop ce que j’avais envie de faire au sein de mon écolieu, pour tout un tas de raisons. Mais pour les luttes et à plusieurs, l’idée me plaisait mieux. Envie d’essayer en tout cas. J’ai pris doucement ma place au sein du noyau le plus assidu et un rôle de conseillère technique pour des questions agronomiques. Je suis allée au rassemblement inter-greniers pendant l’hiver, où se sont décidées les cultures adaptées aux cantines de lutte et aux quatre terrains dans une belle discussion incorporant les questions d’état des sols, de la capacité à irriguer ou pas, de la taille des parcelles, de la solidité des groupes de jardinage et du besoin de stocker la production entre les saisons de récolte et les saisons de mobilisation.
Il y a quelques jours, nous avons récolté les oignons et une partie des pommes de terre, dans la perspective des cantines du 10 septembre et au-delà. Si le mouvement rassemble des dizaines de milliers de manifestant-e-s et grévistes, notre production ne représentera qu’une goutte d’eau. J’aime tout de même l’idée de participer à un truc de grande ampleur qui se met en route et qui va prendre des années avant d’atteindre une taille significative. L’idée est aussi d’offrir aux timides une manière de s’investir dans la lutte sans se retrouver tout de suite sous les gaz lacrymogènes. Le tout participant à une éducation populaire à la production de nourriture, avec le renouvèlement des bénévoles au grenier, année après année.
Le collectif des greniers est plus organique que ce à quoi je m'attendais et même après un an, je suis déroutée par le flou dans les prises de décisions et les incertitudes permanentes sur le calendrier et les participant-e-s. Mais bon an, mal an, les choses se font, grâce à quelques personnes très investies et beaucoup d'autres très loyales. Étant donné mon peu d'expérience des actions militantes, je ne sais pas s'il serait pertinent de structurer et clarifier les fonctionnements. Il y a dans ces circuits pas mal de gens qui sont attentif-ves aux possibilités de prise de pouvoir et réticent-e-s à toute formalisation des choses, de crainte de créer un nouveau système. Je découvre aussi petit à petit les avantages de ce mode de fonctionnement. Les engagements étant flous, je me sens libre moi aussi de moduler ma participation en fonction de mes priorités. L'absence de dirigeant ou de système de direction protège le groupe en n'offrant pas de prise aux tentatives de prises de contrôle internes ou externes. L'initiative individuelle est accueillie mais pas exigée. Il y a pour moi matière à réflexion, à relativiser mes convictions sur les besoins d'un groupe en matière de structuration. L'objectif commun étant clair, les choses se mettent en place pour le servir. La culture de l'autogestion qui règne dans les milieux militants rend la chose fluide.
A suivre...
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