Le retour de la joie après les affres au long cours, c’est comme quand une douleur prend fin, on ne s’en rend pas tout de suite compte et puis un jour on réalise : tiens? c’est fini. Ouf ! ça fait du bien. C’est joyeux d’être en joie chaque jour avec des petits riens ou des grands accomplissements.
Tenter de cultiver la joie dans le quotidien en s’attachant intentionnellement à sentir la justesse d’un geste. Le bon geste fait au bon moment, sans stress intérieur et sans pression extérieure. Se réveiller avec la lumière, faire la vaisselle, sortir le seau à caca en sentant le poids dans l’épaule, courber un brin d’osier entre les montants du panier en devenir, passer chez la maraîchère, fabriquer une étagère, réparer un hygromètre à cheveux, faire la vaisselle juste quand ça vient, je pourrais continuer indéfiniment tant sont nombreux les petits riens utiles et justes qui peuplent mes heures. J’aime leur faire une vraie place plutôt que de les caser au chausse-pied comme une corvée de plus dans une journée déjà trop chargée. C’est un privilège de ma vie, de ne pas avoir à vendre mon temps présent et de pouvoir l’habiter au maximum avec ce qui me met en joie.
J’ai aussi le privilège d’un contact multi quotidien avec la terre et les plantes, qui m’est devenu source d’équilibre et de tranquillité, après quelques années de rapport joyeux mais teinté d’anxiété, coincée entre entre la masse des apprentissages à faire et un sentiment d’urgence vitale. Ça va mieux, maintenant que je m’accorde le temps et l’autorisation de faire ce que je peux sans obligation de résultat. Planifier et préparer un semi, semer, observer la levée, rectifier un paillage, suivre le développement des plantes, désherber quand nécessaire, voir la récolte future se former dans le grain ou le fruit, récolter, sếcher, trier, vanner. Tailler une niche dans la ronce pour y planter un arbre, installer une centoline à coté d’un bugle rouge, désencombrer un cognassier juste avant la floraison. C’est sans fin, et c’est bien ainsi.
Contre toute attente, il reste dans ma vie une bonne dose de cette autre grande famille de joies, celles que procure le bon fonctionnement du cerveau, des joies auxquelles j’avais cru renoncer lorsque j’ai largué les amarres des grandes responsabilités professionnelles puis renoncé à mon projet de thèse en anthropologie sociale. Aborder une question difficile ou délicate, creuser les pistes en prenant le temps, élaborer des hypothèses et les tester, faire des expérimentations. Les champs de complexité sont nombreux dans la vie alternative, entre le vivant auquel on a affaire sans la simplification de la mécanique et de la chimie, les matériaux naturels ou anciens qui ne se laissent pas dompter et les interactions et interdépendances humaines, bien plus denses que dans la vie citadine standard. Les équations économiques sont certes moins amples, mais tout aussi exigeantes en termes d’équilibrage. Les champs d’apprentissage se multiplient à mesure qu’on détricote les fils de nos dépendances aux systèmes centralisés.
Lors d’un temps d’échange sur ce thème, j’ai compris que je suis autant en joie de faire ces choses-là, de les vivre, seule, en dégustation intime et privée, que de les partager avec des personnes pour qui c’est aussi une joie. Il n’y a pas grand-chose que je préfère faire seule, sauf peut-être écrire. Et il n’y a pas grand-chose que je continue d’apprécier en présence de personnes qui ne les apprécient pas elles aussi. Ranger le bois débité par une tronçonneuse enthousiaste est énergisant, alors que ranger le même bois en compagnie d’une personne qui considère cette activité comme une corvée perd toute sa saveur. Bricoler en collectif est grandiose. Jongler avec les formules d’un tableur avec un autre cerveau tout aussi rapide et joueur est excitant. Chercher à deux la panne électrique me réjouis (1).
Le joie ressentie ou anticipée devient un critère pour arbitrer mes priorités. Il reste trois arbres à protéger, mais je n’ai guère envie de le faire seule. Comme ce n’est pas hautement prioritaire je m’offre le luxe d’attendre que l’envie d’un-e autre se manifeste. Et en attendant, je fais autre chose. Et si au final je choisis de le faire moi-même, je chercherai le moment juste, pour le savourer.
- Il arrive bien entendu que quelque chose en moi grognonne, soupèse ma contribution et celle des autres et soit tenté de compter. Il arrive que je fasse des choses sans parvenir à trouver l’énergie juste ou le moment juste. Mais ce n'est pas de cela que je veux parler aujourd'hui.
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.