Nous sommes nombreux à rêver d’autonomie, encore plus nombreux depuis la pause COVID qui a été l’occasion de la naissance ou renaissance de tant de jardins potagers, réels ou projetés. Bien souvent, malheureusement, il s’agit d’une aspiration sans mode opératoire. J’ai pour ma part accompli maintes fois les opérations de listes, calculs, courses, transbordements et rangements permettant de caser trois mois de vie autonome dans un petit bateau et je dois à cet exercice une lucidité que peu d’occidentaux partagent. Notre régime alimentaire comporte une incroyable variété et quantité de nourritures, dont une partie seulement peut être produite en nos terroirs. L’autonomie, la véritable, est bien éloignée !
Comme je suis pour ma part en plein apprentissage agricole, je commence à disposer enfin d'une évaluation par mon propre corps de la multiplicité des tâches, équipements, savoir-faire et aussi des efforts à engager dans les activités de production alimentaire tout le long de l'année. Il y a tant à apprendre, quand on ne vient pas de ce monde-là. Je réfléchis donc actuellement aux conditions de faisabilité d’une autonomie relative pour, par exemple, un collectif d’une vingtaine de personnes. Si j’intégrais une telle communauté, ça serait avec le projet de piloter ou copiloter la production alimentaire végétale du groupe. Vingt personnes, ce n’est plus du potager, c’est un petit maraichage, qui doit être conçu et opéré avec soin. Et à cette échelle, il est possible d’envisager la production céréalière et légumineuse en complément aux fruits et légumes. Ce qui suit est ma proposition, version brute de cogitation, disponible pour récupération ou copie, ouvert à toute altération, amélioration, discussion, débat.
L’état d’esprit de mon projet, qui pèsera sur toutes les décisions importantes, c’est une agriculture naturelle, sans pesticide, ni engrais, ni fumier. Alternance ou association de cultures nourricières pour l’homme et de cultures nourricières pour la vie du sol, sa structure et sa fertilité. Production en respect des saisons et parfois sous la contrainte, pleinement acceptée, du rythme des couverts végétaux. Pas de serre chauffée pour légumes hors saison. Développement des savoir-faire de conservation : séchage, silos, bocaux, pour les cultures à récolte unique, pour stocker les surplus de production et pour couvrir les périodes hors saison. Expérimentation permanente, avec un certain niveau d’incertitude, dont les conséquences peuvent être contrebalancées par la diversification, les stocks et aussi le recours ponctuel aux achats extérieurs en cas de gros loupé à la planification ou en cours de culture. Les premières années au moins, les semences seront achetées. Ensuite, l’autonomie semencière est une aventure envisageable. Pour cette agriculture, il faut une véritable aptitude à saisir les moments propices pour semer, repiquer, récolter, et savoir adapter son planning. Une ou deux personnes dédiées à ces productions assureront l’essentiel du travail, tout le long de l’année, mais elles auront besoin d’aide complémentaire, ponctuellement, aide qui sera fournie par la communauté. La participation des membres du collectif à la production alimentaire est indispensable. Chacun selon ses possibilités, en particulier les plus jeunes et les plus âgés, mais chacun apportant une contribution, même les membres ayant un travail à l’extérieur de la communauté, parce que, justement, l’alimentaire, surtout végétal, jouira d'un très haut niveau dans les priorités et aura une fonction de liant, de lien.
Chaque année au 1er trimestre une ample discussion collective aura lieu pour établir le plan de culture de l’année en cours et de la suivante. La "ration du sol "sera prioritaire sur celle des humains, afin d’assurer une agradation de la terre les premières années, puis le maintien de sa fertilité et de sa structure. Les prévisions de récolte seront affinées au fil des années, avec la stabilisation des variétés adaptées au terroir et au parcours cultural. Les foyers qui désireront cultiver des plantes ne figurant pas au plan de culture collectif pourront le faire dans leurs jardins privatifs ou dans une parcelle de la foret comestible. Le plan de culture collectif est une logique de mutualisation des ressources et des besoins. Il cumule les souhaits des foyers et tient compte des possibilités, notamment de la dimension du maraiche et de la maturité de la forêt comestible, plus modestes les premières années mais progressivement développées.
Chaque foyer sera doté d’un « panier hebdomadaire » de produits frais de saison, selon ce qui est disponible à la récolte, éventuellement ajusté des préférences de la famille, lorsque cet ajustement sera facile à faire. En complément, tout le monde aura accès libre aux parcelles pour cueillette ponctuelle et légère si besoin, plus accès libre aux stocks avec cahier de suivi. Les écarts importants de production ou de consommation par rapport au plan de culture prévisionnel seront négociés ou discutés au fil de l’eau, pour améliorer le plan de culture de l’année suivante.
Les données techniques et économiques ci-dessous sont issues d'un premier exercice de dimensionnement et donc approximatives.
Superficie cultivée à terme, environs 2,5 hectares (implantation échelonnée sur 3 à 5 ans selon les besoins, les ressources et l’énergie du groupe)
- Légumes : trois serres de 8 x 20 m, une serre à plants – pépinière, et une dizaine de parcelles extérieures de même dimension. Irrigation gravitaire ou sous pression pour toutes les serres et parcelles en prévision d’étés secs. Drainage à ciel ouvert ou enterré selon la nature du sol, en prévision de pluies hivernales excessives.
- Céréales, graines et légumineuses : quelques parcelles de 10 x 100 m sans irrigation forcée, disposées le long de courbes de niveau sur lesquelles seront plantées des haies arborées, pour une gestion naturelle de l’eau.
- Riz : parcelle de 10 x 100 inondable une fois par an (proche rivière).
- Foin de paillage : un demi-hectare de prairie.
- Fruits, noix et autres plantes comestibles pérennes: un hectare de forêt comestible.
- Raisin et vin : vignoble intégré au maraichage, vigne non taillée mais guidée en canopée partielle au-dessus des parcelles cultivées, pour protection contre les grosses chaleurs et réduction des besoins d’irrigation.
Fonctionnement économique proposé :
- Achats financés par le collectif (investissements, consommables, semences, maintenance de l’équipement)
- Travail agricole (un équivalent temps plein) rémunéré par contribution financière de chaque habitant (exemple : 30 euros /mois par adulte, 15 euros par enfant, à discuter avec le plan de culture).
- Contribution en main-d'oeuvre de chaque habitant, y compris les enfants, d’environs une journée de travail par mois en moyenne, ce qui porte au total la main d'oeuvre à presque deux équivalent-temps plein. Ces journées de contribution des membres seront surtout concentrées au printemps et à l’automne, pour des tâches intenses ou fastidieuses ou simplement pénibles. Possibilité de planifier ces besoins-là avec une bonne semaine de préavis, selon la météo et l’état des cultures.
- On peut imaginer, lors de l'élaboration du plan de culture quelques négociations relatives au travail fourni par les membres pour aider à augmenter la surface cultivée ou la culture d'un légume difficile mais apprécié.
En contrepartie de ces apports, le collectif disposera de l’intégralité de la récolte. C’est une logique différente de celle qui consisterait à « marchandiser » individuellement les productions. Ainsi les risques agricoles sont répartis sur l’ensemble du collectif au lieu de peser sur l’équipe agricole seule.
La prise en charge par deux personnes à temps partiel permet d'assurer une relève en cas de déplacement de longue durée à l'extérieur, voire de départ de la communauté. Possibilité pour chacun de participer plus aux travaux agricoles tout au long de l’année, pour le plaisir, pour le compagnonnage et pour l’apprentissage.
https://www.youtube.com/watch?time_continue=646&v=QT7-YRn6PDI&feature=emb_logo
Bonjour Isabelle,
Je ne sais pas si la vidéo sera visible, c'est un petit reportage sur les nouveaux paysans au village de Ségur le Chateau en Correze.
Bonne continuation.
alain
Rédigé par : alain | 28/06/2020 à 18:08
@ Gérard : Bonjour, merci pour le titre de la vidéo qui m'a permis de la retrouver. Et si c'était vrai, que ces initiatives se multiplient, hum ?
Rédigé par : Isabelle | 06/07/2020 à 19:33
Bonjour,
Merci pour votre initiative et la présentation.
Est ce que cette démarche est en cours maintenant?
Bien à vous,
Hans
Rédigé par : Hans Musegaas | 26/01/2021 à 16:17
@ Hans : cette démarche, qui n'était qu'une réflexion prospective en juin dernier, a en effet donné naissance à deux projets collectifs : l'un en Limousin et l'autre en Bretagne.
Des parcelles ont été mises en "préparation" dans les deux sites et les deux "plans de culture" collectifs sont en cours d'élaboration.
J'inscris dans mes tablettes de faire un point sur la question prochainement dans ce blog, et si vous avez des questions plus précises n'hésitez pas à les poser.
Rédigé par : Isabelle | 26/01/2021 à 18:51