Il y a quelques jours, je me suis endormie avec un sourire aux lèvres, un sourire sans raison particulière et une délicate sensation de joie simple. Ça faisait si longtemps que ça ne m’était pas arrivé ! Pas des semaines ni des mois, mais il me semble …. des années. Aucun fait marquant récent n’explique cette nouveauté dans ma vie si ce n’est peut-être une nouvelle manière de formuler ma réponse au discours de la coresponsabilité qu’a tenté évidemment de m’infliger mon ex-compagnon, mais aussi, par moments, mon entourage, et bien sûr, sournoisement, une petite voix pernicieuse en moi.
La teneur de ma nouvelle réponse est la suivante : co-quelque chose traduit une équivalence à laquelle je refuse désormais de souscrire concernant cet homme et moi. Non, il n’y a pas équivalence quand il y a comportement abusif chronique, quand il manque sincérité et empathie et quand sont dissimulées des informations essentielles à la prise de décision. Nous sommes tous susceptibles de causer des blessures psychologiques ou des dommages économiques à autrui mais ceux qui refusent d'en parler se placent eux-mêmes en dehors et au-dessus des gens bien.
Je suis bien consciente du problème de plausibilité que comporte mon récit d’abusée pour les gens qui me connaissaient et me voyaient dans la sphère publique. Et pourtant. Certains éléments-même de ma position théoriquement puissante ont participé lourdement à mon aliénation (1), en plus et à cause du programme social patriarcal qui donne tendanciellement l’avantage aux hommes, dans la psyché de l’homme et dans celle de la femme (2). Mais en réalité, toute personne ayant bien connu cet homme est en mesure de comprendre ce que j’ai vécu. Il suffit pour cela d’un peu de mémoire - se souvenir d’avoir expérimenté par soi-même quelque épisode d’abus puisque mon ex-compagnon n’épargne presque personne - et d’un peu d’imagination pour se figurer ce que peut produire la même chose reproduite à fréquence, disons, hebdomadaire, dans le huis-clos d’un bateau de moins de dix mètres navigant en terres étrangères et en eaux dangereuses. Il semble que mes proches ont fini par reconnaitre cette non-équivalence, car les voix amicales et familiales m’invitant à l’autocritique se sont tues.
Ma belle-mère, admirablement placée pour savoir de quel bois relationnel se chauffe son fils, a en revanche tenté très récemment de me faire croire qu’elle croyait en ma responsabilité, non pas à ma coresponsabilité, mais à ma responsabilité à titre principal ! On ne refait pas les mères de sa génération, souvent enrôlées par le système patriarcal dès leur plus jeune âge. Là non plus, je ne vois pas d’équivalence. Une femme qui nait, grandit et évolue dans ce système n’a pas les mêmes possibilités d’émancipation qu’un homme. J’ai encore beaucoup de respect pour cette femme, même quand elle m’écrit « si tu veux gagner mon estime » comme si son estime, je ne la méritais pas déjà depuis longtemps, indéfiniment et inconditionnellement pour avoir aimé son fils comme je l’ai aimé et pour avoir rendu matériellement et magnifiquement possible ce rêve fou de voyage pluriannuel qu’il n’aurait jamais réalisé sans moi (3).
J’ai donc enfin réglé son compte, dans mon fort intérieur, à l’idée de coresponsabilité. Je peux admettre que dans une certaine mesure, j’ai contribué à ces processus, pour tout un tas de raisons fort complexes. Je me suis de fait moi-même approchée de cet homme alors que j'avais identifié ses grosses difficultés relationnelles. Mais au final, j’ai suffisamment perdu psychologiquement et matériellement pour pouvoir affirmer qu’il s’est terriblement mal comporté avec moi. Merci à toustes les auteurices de textes écrits ou parlés qui ont contribué à l’émergence de cette certitude (4).
Je crois que c’est cela qui allège ma vie aujourd’hui, comme si j’étais en train de déposer un fardeau dont je me suis chargée, semble-t'il, lorsque j’ai rencontré cet homme (5). Tout cela peut sembler dérisoire, il y a tant de femmes qui souffrent considérablement plus du fait d'un homme, du fait du système patriarcal. Il me semble pourtant important de témoigner que même les femmes émancipées, éduquées et indépendantes économiquement peuvent tomber durablement sous l'emprise d'un "narcisse souffreteux" qui n'aura ni les moyens ni l'envie de les aimer en tant que personne et conditionnera, sans le dire, son affection à la prestation d'un service matériel et/ou immatériel.
De la même manière, à une plus vaste échelle, j'objecte vigoureusement aux mentions des responsabilités réciproques des hommes et des femmes dans la mise en place et le maintient du système patriarcal. Les responsabilités ne sont (6) à mes yeux "réciproques" que lorsque les femmes ne contribuent plus au système partiarcal, mais consacrent leur énergie, leur élan, à la promotion d'un système écoféministe (et surtout pas matriarcal!) et lorsque simultanément les hommes ne contribuent plus au système patriarcal mais consacrent leur énergie, leur élan à la promotion d'un système équitable par un travail sur eux-mêmes et un partage entre hommes.
Les responsabilités réciproques commencent au moment ou le système de domination s'effondre.
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- Par exemple, du fait que je détenais le pouvoir économique, je me refusais à exiger quoi que ce soit, ne souhaitant pas m’assimiler à mon père, qui, lui usait régulièrement de l’argument d’être celui qui faisait « bouillir la marmite » pour justifier ses privilèges de patriarche, lui qui avait toujours refusé de verser salaire à son épouse, conjointe-collaboratrice.
- Un ami protestait récemment contre ma tendance à étiqueter désormais tout comportement abusif d’un homme à mon égard comme du machisme. « mais ça t’arrive bien, de temps en temps, d’être face à une femme qui cherche à te dominer ! - oui, bien sûr, mais face à elle, je me sens à égalité car elle n’a pas sur moi l’avantage de son genre, qui la renforcerait elle et qui m’encombrerait moi-même face à elle ».
- L’inverse n’est pas vrai. Ce voyage, je pouvais le réaliser sans lui, puisque les conditions de sa possibilité reposaient sur moi : mes compétences de marin, ma capacité à « faire advenir les rêves », mon courage et mes ressources financières. Sans lui, le voyage aurait bien entendu été différent et il n’est pas possible de se prononcer sur les qualités désirables ou indésirables de ces différences inconnaissables.
- L’héritage de trois années de suites de #metoo, m’a permis de mettre des mots d’un haut niveau d’élaboration intellectuelle, voire scientifique (car les sciences sociales sont une dimension de la science) sur mon histoire personnelle et de la relier à quelque chose qui nous dépasse.
- Ma fille m’en a fait le reproche rapidement et jusqu’à récemment : du jour où tu as rencontré Ariel, tu es devenue flippée. Manifestation d’un phénomène d’emprise qui a été très rapide à s’installer entre nous et dont l’extirpation m’occupe depuis des mois à plein temps ou presque.
- La formulation de cette phrase au présent affirmatif est politique.
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