Pénétrer dans le champ, jusqu’à la taille ou à l’épaule, caresser les épis, en examiner des doigts et de l’œil la forme, épeautre, triticale, blé dur, blé tendre, seigle, orge, … tous épis un peu semblables mais un peu différents qui grossissent en cette saison.
Écouter attentivement les échanges entre agriculteurices. Ils et elles parlent de préparation du sol, de précédents et de rotation, du moment idéal pour semer, de techniques de désherbage mécanique, du risque de verse et du moment idéal pour récolter. J’écoute. On écoute mes questions avec respect, car, pour la première fois, il me semble que l’on comprend ce que j’envisage de faire. Et que l’on s’y intéresse. Est-ce ma façon de parler du métier qui a pris de l’épaisseur ou bien est-ce que vraiment ces gens-là comprennent mieux mon projet, parce qu’il est plus proche, au fond, de leur propre cœur de métier ?
Jusqu’à présents j’avais surtout visité des fermes maraichères ou des pépinières, qui n’ont pas beaucoup de graminées (1) dans leurs plans de culture ! A contrario, les éleveurs qui tentent de produire eux-mêmes la nourriture de leurs vaches et les céréaliers proprement dits, producteurs de grain de consommation humaine, ont une bonne partie de leur vie cadencée par les semis d’automne. Les citadins sont-ils au courant que c’est en automne qu’on sème la plupart des céréales ? Jusqu’à il y a peu, j’avais à peine conscience de ces rythmes-là !
Grâce à ces « rallyes » organisés par le Groupement des Agriculteurs Bio du Morbihan, je découvre que la pratique du mélange céréales-légumineuses est plus répandue et plus pointue que ce que j’imaginais.
Lorsqu’on vise uniquement l’agradation du sol, en vue du maraichage dans le couvert couché, comme j’en ai l’intention, ce mélange s’appelle Couvert Végétal. On ne tente généralement pas de récolter le grain (2). Du coup, il est possible de mélanger des plantes susceptibles de se gêner entre elles, tant que leurs effets sur le sol se conjuguent bien, ou des plantes dont la maturité ne survient pas au même moment puisque le temps du roulage survient bien avant le stade « graine ». Même sans visée de récolte, c’est une vraie culture, importante dans le fonctionnement du maraichage, car c’est elle qui entretient la vie du sol, donc sa fertilité. C’est grâce à elle qu’on peut cultiver les légumes sans apporter le moindre engrais, ni fumier, ni même un purin d’ortie ! C’est aussi cette culture-là qui permet de réduire à très peu de chose les besoins en paille importée d’ailleurs. Dans ces mix, on associe des plantes qui vont arriver à fleur à peu près en même temps et, surtout, des espèces qui seront sensibles au roulage, qui ne se redresseront pas après le passage de la planche ou du rouleau Faca.
Des mélanges semblables sont cultivés à destination de l’alimentation du bétail, en complément au pâturage. Il n’est pas indispensable de séparer la récolte, un bon battage suffit, et on stocke directement le mélange, par exemple de triticale et de vesce, le grain rond sombre et le grain long blond. C’est ce mélange qui sera servi aux animaux après un petit ajustement du dosage selon les besoin nutritionnels des animaux. Il faut associer des cultures dont le cycle, entre le semi et la maturité du grain, est semblable, ou des cultures dont la plus précoce des deux peut supporter d’attendre au champ que l’autre soit mûre, avant d’être récoltée.
Le grain à destination de l’alimentation humaine peut aussi être cultivé en mélanges en donnant la priorité au grain meunier. On choisira la légumineuse de compagnonnage cultural avec une attention supplémentaire portée aux capacités des techniques de battage et de tri à préserver et à différencier les grains, ou à faire la différence entre un grain et les brisures éventuelles de l’autre. Car pour moudre et boulanger, il faut un grain assez pur. C’est toute une filière à laquelle il va falloir que je me forme, si je veux un jour cultiver l’épeautre ou le blé ancien, le récolter, le battre, le trier, le sécher, le conserver et le moudre en une farine dont je ferai mon pain.
Une intuition émerge, au fil du temps : une culture de mélanges céréales-légumineuses soigneusement pensés permettrait peut-être de nourrir à la fois l’humain et le sol. L’origine de l’agriculture, naturelle, après tout, c’est la pratique de Manasobu Fukuoka au Japon, qui cultivait de l’orge en hiver et du riz en été, en récoltant le grain dans les deux cas et en restituant la paille au champ après battage. Il mélangeait dans ses semis du trèfle qu’il ne récoltait pas. Le cycle du riz et de l’orge s’emboitaient à la perfection, sous le climat de son ile. Il faisait donc deux récoltes alimentaires par an sur chaque parcelle, sans labour (3) et sans le moindre traitement. Une ingénierie paysanne de ce niveau d’efficacité dans les conditions pédoclimatiques françaises représenterait une sorte de Graal. Mon esprit galope, c’est carrément une station expérimentale pour l’agriculture du monde d’après que je rêve de mettre en place… !
- Les maraichers produisent parfois du maïs frais comme un légume et les pépiniéristes ont bien quelques miscanthus à leur catalogue.
- On conduit la culture jusqu’à la hauteur maximale et la maturité des graminées jusqu’au stade paille, mais guère au-delà du stade « fleur ». La formation du grain dans l’épi aspirerait des éléments qu’on préfère garder dans la tige et la racine, pour une meilleure restitution au sol.
- La culture du riz nécessitait une inondation du champ deux ou trois semaines par an, ce qui, double effet kiss-cool, permettait de réduire l’activité des herbes indésirable et celle du trèfle. La maitrise de l’enherbement reste « la » question lancinante de l’agriculture en non-travail du sol.
merci Isabelle pour ce bon moment que je vais passer à rattraper mon retard dans tes écrits!
Rédigé par : patricia | 04/05/2022 à 12:37