L’énoncé de mes aventures agricoles de l’année devrait suffire à me rassurer. C’est la première année que je conduits avec autant de continuité de présence un plan de culture complet. Les résultats sont au rendez-vous. Je commence à apprivoiser le sol, je maîtrise mieux les cycles végétaux et leurs successions. Savoir quand semer quoi et comment. Jongler avec les bâches et le foin. Savoir patienter face aux limaces, et insister face au liseron. Savoir récolter, égrener, vanner et sécher aux petits oignons. La réserve de graines a belle allure, matérialisation de mon développement en tant que paysanne-artisane semencière.
Du coté des arbres, j’ai choisi cette année de peu produire de nouveaux plants, et de plutôt apprendre à faire grandir les jeunes arbres dans de bonnes conditions, en pots et en jauge. Savoir comment organiser l'espace et l'ombrage. Quand et comment arroser. Cadencer les rempotages ou plantations et doser les apports. Le peu de pertes que j’ai à déplorer dit quelque chose, là aussi, de mon développement en tant que micro-pépiniériste.
Ces apprentissages et satisfactions n’auraient pas été possibles sans un groupe qui me laisse faire en confiance, s’abstient de critiquer, même quand la réussite n’est pas évidente, ne malmène jamais mes espérances par des prédictions négatives. Certes, je m’attendais à plus de participation et plus d'intérêt de leur part, mais les facteurs de démotivation ou d’énervement qui étaient présents dans mes deux précédents collectifs ne sont pas présents ici. Et c’est déjà un mieux considérable.
Ce que j’avais imaginé comme participation des membres au jardin n’était pas une invention de ma part, mais s’appuyait sur le document de présentation du projet qui a été mon premier contact avec ce groupe et dans lequel il était demandé aux candidat-e-s de se préparer à donner, entre autres, une demi-journée par semaine aux travaux de jardin. J’en ai déduit, à tord, que le collectif avait déjà intégré la nécessité de la continuité d’engagement dans ce domaine, et, à tord également, que les membres s’appliquaient déjà cette règle en interne.
Je me retrouve donc heureuse de mes avancées, mais le sentiment de solitude dont j’ai pris conscience pendant mes affres névralgiques me rappelle que l’agriculture en solo n’a jamais été mon aspiration, et ne le sera sans doute jamais. Pas plus que la navigation solo dans ma vie de marine. Elle n’a jamais été une option pour moi. Je crois bien qu’il s’agissait à la fois d’une envie de ne pas porter seule la charge mentale, mais aussi un besoin profond de partager au quotidien les joies. Idem pour l’agriculture. C’est trop complexe en solo et trop joyeux pour ne pas partager.
Une petite voix en moi me susurre que les choses pourraient également être également en demie-teinte sur d’autres aspects essentiels du projet, et qu’il faut prudence et vigilance garder. Le cadre idéologique et politique de ce groupe est loin d’être aussi radical que ce que je croyais. Ce qui est annoncé en matière de sobriété, ralentissement, transmission aux enfants, gouvernance, pourrait bien n’être pas, là encore, ce à quoi les membres sont réellement prêts.
Par exemple, nous sommes en train d’adopter, de belle manière, c’est à dire en suivant un processus éprouvé de gouvernance partagée, un splendide modèle économique, fondé sur la responsabilité des membres actuels vis à vis des membres futurs, sur le long terme. Mais en parallèle de ces débats, qui impliquent tout le monde, quelques gros investissements ont été décidés pendant l’été sans consultation du collectif. Je redoute évidemment que ces anomalies soient le reflet d’un véritable désalignement, un signal que quoi qu’on décide collectivement, certain-e-s trouveront des raisons de s’exonérer de la gouvernance partagée pour les décisions qui sembleront impérieuses à leurs yeux.
J’hésite. Tenter de clarifier dès maintenant cette histoire de présence au jardin n’apportera aucune garantie, car les mots et les intentions sont souvent éloignées des passages à l’acte. Et cela ne résoudra pas les autres zones de préoccupation. Seule la durée permettra de voir si les intentions sont ancrées, concrètement. Il ne serait pas sage de prendre des décisions maintenant. Il serait sage de continuer d’observer.
Ça me ramène à un échange du printemps dernier avec Yann. Nous partagions notre désapointement face à la difficulté de mobiliser des troupes pour conduire des actions collectives de subsistance. Par exemple, monter une grainothèque, récolter le blé, coapprendre les plantes médicinales. Les urbain-es sont aliéné-es à un mode de vie qui capte leur temps de manière extrêmement dense. Les néoruraux et néorurales sont absorbé-es par le processus d'acclimatation et de réorganisation des routines familiales et domestiques, dans un territoire plus étalé que la ville. Et tout le monde procrastine sur les apprentissages dans lesquels il faudrait pourtant s'engager sans tarder. Ou plutôt, la plupart des transitionneureuses sous-estiment le chemin d'apprentissage. Et, paradoxalement, s'en veulent déjà de ne pas encore "faire" tout ce dont iels rêvent. Comme si faire allait de soi, alors qu'apprendre non.
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