Je suis en manque. Ou plutot, en anticipation du manque à venir. Depuis des mois, Ariel sourit de ma manie de suivre certains navigateurs à travers leurs blogs et il est vrai que, lorsque nous sommes à terre, c'est comme si j'avais besoin de cette bouffée de voyage tous les jours ou presque.
Une sorte de dialogue silencieux s'installe entre un auteur de blog et ses lecteurs et je me sens ainsi en lien avec plusieurs navigants. Ceux que je lis régulièrement voyagent sur des monocoques de moins de 12 mètres, car il faut que je puisse m'identifier à leurs aventures véliques, leurs soucis de bricolage, leurs problèmes de rangement. Tous vivent à plein temps à bord, disons plus de 6 mois par an à bord. Les blogs qui ne racontent que la nav' d'été annuelle m'intéressent moins, le rythme n'est pas le même. Je m'intéresse surtout à des voyageurs partis pour plus d'un an, qui sont engagés dans autre chose que le traditionnel "tour de l'atlantique", qui, d'ailleurs, se résume en fait à un aller et retour Europe - Antilles - Europe, en passant par les Canaries à l'aller et les Açores au retour. Ca ne fait pas le tour de l'Atlantique, ça. Lorsque la Casamance, le Brésil, les Etats-Unis ou le Canada sont à l'ordre du jour, ça commence à devenir intéressant... et lorsque le périple inclut la Patagonie et/ou bascule dans le Pacifique jusqu'à la Nouvelle Zélande, je suis immédiatement accro! Je réalise en écrivant cette ligne que je ne suis pas passionnée par l'Océan Indien. Pour le moment.
Mais mes auteurs réguliers de ces derniers mois, ceux auxquels je me suis attachée pour la rusticité de leur projet ou pour leur style d'écriture, sont presque tous en train d'arrèter de naviguer, soit qu'ils soient bientôt arrivés à destination ou revenus au bercail, soit qu'ils aient décidé d'arrèter en cours de route pour se poser à terre. Bref, j'ai lâché un soupir de désespoir un matin et me suis ouverte à Ariel de mon gros soucis: Je vais bientôt me trouver en manque de mon "fix" de blog quotidien, l'heure est grave.
Evidemment, attentionné comme il l'est, mon homme n'a pas voulu que je reste dans cet état trop longtemps, et il s'est mis en recherche. Il a trouvé tout un foisonnement de blogs de voyage ou de blogs de projet de voyage, car parfois le blog commence avec l'idée du voyage, avant même que la question de la faisabilité ait été examinée. Mais fort peu de ces blogs retiennent notre attention. Il est facile pour les blogueurs peu exigeants de trouver de beaux bleus turquoise sous les tropiques et il est lassant pour nous de lire combien la soirée (arrosée) avec les voisins de mouillage a été sympa. Nous trouvons naïves les envolées lyriques sur la Communion Avec La Nature et sur la Rencontre Des Peuples De La Terre, parce qu'elles occultent les réalités de l'entretien d'un bateau, les rudesses de la météo et les barrières culturelles et linguistiques. Nous trouvons horripilants les pop-ups publicitaires qui nous vantent des méthodes d'amaigrissement ou de spéculation boursière avant de nous laisser accéder au contenu, encore une marchandisation d'un geste ordinaire. Nous trouvons monotones les journaux de bord qui décrivent par le menu le déroulement des navigations ordinaires, jour après jour, lorsque la zone de navigation est très fréquentée depuis des décennies et a déjà été décrite maintes fois dans d'autres récits. Bien des blogs sont en fait créés juste à l'intention de la famille et des amis, pour donner des nouvelles et faire envie, sans réaliser que le blog, une fois publié sur le web, est public et est susceptible d'acquérir une audience bien plus large que ce cercle de proches. En réalité, il faut beaucoup de talent d'écriture pour bien narrer l'ordinaire et peu de bloggeurs ont un vrai talent d'écriture ou se donnent la peine de travailler leur texte. D'ailleurs, cette note est un petit peu un appel à contributions : si vous connaissez un bon blog de marins modestes, sur petit bateau, avec équipement réduit, navigant hors des sentiers battus, merci de me le signaler !
Mon addiction ainsi démasquée traduit en fait mon manque de navigation, car bien entendu, je lâche ces lecture-là dès que nous sommes de retour sur Skol. A force de dire qu'un jour nous irons nous aussi en Patagonie, le temps commence à sembler long. C'est quand notre tour ?
Pour les lecteurs intéressés à plus de détails, voilà les principaux blogs que je suivais dernièrement ces derniers temps (et pourquoi je vais bientôt être en manque).
Depuis plus de 2 ans, "Silas Crosby" a quitté la Colombie Britanique est allé passer quelques mois en Patagonie. Son skipper écrit avec régularité de petites notes pleines d'humour, que j'apprécie pour leur finesse, même lorsqu'elles évoquent le quotidien. Il est maintenant de retour dans le nord, plus quelques semaines de navigation.
Heidi et Nicolas sont partis d'Europe, sur "Fleur de Sel" , pour un tour du monde passant par la Patagonie également. Avant de partir pour la grande boucle, ils se sont offert un tour en Norvège, et c'est d'ailleurs par leurs notes sur ce pays que nous avons fait connaissance avec eux, lors de nos propres préparatifs pour la Norvège. Leurs notes de blog sont surtout narratives et un peu trop longues à mon gout, mais leur approche réfléchie et rustique me plait, je me suis attachée à leur histoire. Et voilà que la semaine dernière, ils annoncent une grande décision: interrompre l'itinérance et tenter de s'implanter professionnellement en Nouvelle Calédonie ! Zut. C'est une bonne idée pour eux, certainement, mais leur histoire va (re)devenir terrienne.
Marcie et David, à bord de "Nine of Cups", naviguent, eux, depuis 2000, et le titre de leur blog l'annonce : "ce n'est pas seulement un voyage, c'est notre style de vie". Je ne les suis que depuis quelques mois mais j'apprécie leur façon de témoigner de manière simple de leur vie itinérante et à flot, en abordant des sujets extrèmement variés, avec simplicité. Deux drames familliaux sucessifs les ont ramenés d'un coup d'avion au pays, où ils sont actuellement, continuant à écrire dans leur blog pour se changer les idées.
Claire et Gaétan terminent actuellement un tour du monde entamé en 2010 sur "Ty Punch", petit bateau de 9m. Un tour du monde par la voie la plus courante de nos jours: le canal de panama et la route des alizés, avec une bifurcation par le sud de l'afrique au final, pour éviter les zones à pirates de la Somalie.
Karen et Jim ont mis fin le mois dernier (raisons de santé) à une itinérance qui les a conduits de la Colombie Britanique à la Nouvelle Zélande. Ils ont mis leur petit voilier "Sockdolager" sur un cargo pour la route du retour et embarqué eux-mêmes comme passagers sur ledit cargo.
Jeanne Socrates, 70 ans, achèvera début juillet son tour du monde sans escale sur "Nereida"....respect. Ses petits bulletins quotidiens très factuels et très mécaniques ne laissseront aucune trace dans la littérature mais son aventure, oui.
J'avais plaisir à suivre un seul blog de famille en voyage, un blog alimenté peu souvent, mais très typé. Une écriture incisive et intimiste, habillé de la "street photography" de l'auteur qui manie le noir et blanc avec talent. Ce blog me changeait vraiment des écritures et photos sans personnalité qu'on trouve souvent. Mais les dernières nouvelles de "Pingouin Tropical" datent de février.