C’est pour nous une habitude, depuis quelques années, de célébrer le réveillon de fin d’année à flot, qu’il neige ou qu’il vente. Mais la saveur de celui-ci fut toute particulière car il s’agit de notre dernier hiver ici avant le départ (inch’allah) et de notre premier mois de résidence principale flottante.
On remarque ce changement de situation à plusieurs indices, que voici, par ordre d’apparition à l’observateur extérieur.
Premier indice : la Titine d’Ariel stationne sur le parking du port. Elle renâclait à l’idée de traverser la France d’Est en Ouest et nous l’a bien fait comprendre, en claquant son alternateur deux jours avant la grande migration[1]. Nous sommes désormais motorisés et cela va changer notre quotidien. Plus de longue marche sous la pluie battante, sacs de courses lourdement chargés au bout des bras. Plus de négociations d’emprunt de voiture aux copains pour sillonner la région à la recherche d’une pièce cruciale pour le bateau. On va même pouvoir aller facilement rendre visite à mes sœurs, si ça se trouve. Et aller au cinéma ou au restau en dehors des horaires de la navette trans-rade. Ça en met un rude coup à notre rusticité tant revendiquée. Il ne faudrait tout de même pas qu’on prenne trop nos aises de terriens au moment même où nous prétendons quitter le confort de la société de consommation !
Second indice : Skol est installé dans le port à une place un peu spéciale. Il renâclait à l’idée de se retrouver coincé entre deux autres coques de plastique et métal, il voulait que le soleil puisse entrer par les hublots de coque, il voulait que ses habitants puissent observer les oiseaux sur la vasière au lieu de ne voir qu’une forêt de mâts et une rangée de culs de voiliers. La capitainerie nous a accordé « la » place que nous convoitions, le long du brise clapot, certes un peu exposée au gros temps, certes un peu exposée au regard des passants, mais au moins nous n’avons pas cette impression de dormir au parking.
Troisième indice : notre intérieur est un peu encombré. Encombré de tout ce que nous avons apporté de plus : des djellabas pour la chaleur, des chaussures de marche pour la montagne, les cadeaux des amis, des trucs et bidules qu’on a imaginés pratiques d’avoir à bord. Mais le bateau n’a pas miraculeusement grandi en fin d’année. Il faut donc, pour faire de la place à ces nouveaux chargements, déloger de leur quartier d’autres objets, changer l’agencement intérieur, qui pourtant avait été élaboré méthodiquement, au fil des années.
Quatrième et dernier indice : une certaine électricité flotte dans l’air. Tiraillés entre l’excitation de cette nouvelle vie qui commence et la magnitude des enjeux et incertitudes, nous sommes, autant l’un que l’autre, joyeux et irritables, surexcités et rassurés, reconnaissants et susceptibles. Les listes de choses à faire nous menacent de l’imminence de leur dictature renforcée. Notre joie d’engager ce changement de vie est assombrie par les soucis de santé de nos parents, qui représentent à ce jour le paramètre le moins maîtrisable de notre calendrier. Un certain vertige touche Ariel, après l’abandon de son logement terrien. Une fébrilité m’habite, à propos de tout ce qui reste à faire à la maison.
Les mois à venir vont être un peu compliqués, avec de nombreux allers-et-retours. Mais nous y sommes. SDF. Sur Domicile Flottant.
[1] Mais finalement, comme son maître a été réactif et ne lui a pas trop laissé le temps d’espérer nous avoir convaincus de la laisser prendre sa retraite en Alsace, elle a bien voulu franchir le Col de Saverne (40km/h, en seconde à fond), les Grandes Plaines de Champagne et de Beauce (par les nationales et départementales) et la forêt de Brocéliande.