Ce blog à vocation poético-méditative n'est en principe pas le lieu pour exposer nos déboires techniques, même si nous l'avons fait de temps en temps, parfois de manière frontale mais plus souvent en note de bas de page, comme en marge. En réalité, la technique n'est pas en marge de notre vie, elle tente vigoureusement d'en occuper le cœur, elle s'infiltre partout, dans les escales et dans les navigations, dans nos jours et dans nos nuits et nous bataillons ferme au long de l'année pour qu'elle n'occupe pas TOUTE la place.
Pour décrire de manière succincte nos avanies plus ou moins graves, mais jamais mortelles, de ces derniers mois, nous pouvons arpenter le bateau du sommet du mat où monsieur l'anémomètre a rendu l'âme depuis longtemps et où son voisin le feu de position rouge-vert s'est mis en grève plus récemment, jusqu'aux fonds de cale où l'eau s'infiltre par divers interstices insidieux. Nous pouvons aussi le parcourir de la proue où l'ancre se couvre de rouille là où la chaleur de la forge, il y a trois ans, a détruit la galvanisation protectrice, jusqu'à la poupe où notre brave pilote Barkaï a récemment pété un câble au sens propre. Sa voisine de tribord, Ruth l'éolienne, s'est mise en rade quelques semaines durant, à la suite d'un orage et son voisin de bâbord, MC le panneau solaire, a prétendu prendre son envol en profitant d'une craquelure dans son articulation de fixation. (1)
Entre la proue et la poupe, nous ne manquerons pas de mentionner quatre chandeliers de filière qui, bien que correctement ressoudés à Puerto Deseado après les embrassades de Beduin, branlent du chef à la suite de rencontres ultérieures autant qu'inamicales avec des quais ou des bateaux voisins. Ils tiennent encore debout, notez bien. Nous feignons d'ignorer s'ils retiendraient le poids d'un homme ou d'une femme tombant violemment à la mer (2), mais ils suffisent pour le moment à maintenir en place le filet du bastingage qui parvient lui-même encore à empêcher la chute à l'eau de divers objets. Les réparations et ravaudages de ce fort commode bien qu'inélégant filet ne se comptent plus.
Au passage nous attirerons votre attention sur les rafistolages de joints des capots de pont, signes de notre lassitude à refaire proprement des joints neufs qui de toute façon fuiront de nouveau rapidement. Sur le roof, nous vous montrerons la magnifique pièce de bois tropical taillée sur mesure avec nos petites mains et quelques outils empruntés. Elle remplace le vieux support de winch vermoulu, lequel a craqué dans un vendavale la dernière fois que nous avons dévalé le canal Messier vent dans le dos. Dans le cockpit, vous admirerez la discrétion et l'efficacité des travaux de dentisterie réalisés par votre serviteuse. Ici, sous la barre d'écoute dont les petits rouleaux de nylon avaient fini par partir tant ils étaient usés. Là, à l'intérieur du boitier de la manette moteur, dont la marche arrière, après de longues années de point dur, a exigé la restauration d'une dent usée. Cela nous a couté quelques jours de travail, mais vous n'avez pas idée des complications administratives et techniques (3) que nous nous sommes épargnées en procédant à ces réparations au lieu de changer pour du neuf !
Toujours dans le cockpit, ou plutôt débordant largement du cockpit, il n'échappera point à votre attention que notre installation de gaz de cuisine a été sérieusement modifiée. Le tuyau jaune vif qui tente de sortir subrepticement de l'hiloire par un petit trou taillé dans l'aluminium – encore un travail de dentiste - connecte le circuit ancien à de nouvelles bouteilles, elles-mêmes stockées à l'extérieur du cockpit, faute de place, résultat d'une histoire à rebondissements étalée sur de nombreux mois. La dernière facétie de notre usine à gaz fut tout de même la démission du second détendeur européen en pleine mer, à deux jours de l'arrivée à Puerto Quequen. Nous avons dû cuisiner sur un petit bleuet camping-gaz qu'il fallait maintenir à tout instant pour ne pas qu'il se renverse à cause des vagues. Notre collection de raccords usinés sur mesure par des tourneurs uruguayens, chiliens et argentins peut désormais affronter toute la gamme des situations, en système métrique ou en système impérial, en pas à droite ou en pas à gauche. En outre, avec les nouvelles bouteilles installées, nous disposons d'une autonomie presque doublée, permettant tous les projets de conserverie et pâtisserie qui nous viendront à l'esprit.
A l'issue de cette visite de chantier menée tambour battant, le vertige vous passera bien vite par effet de dégrisement instantané lorsque vous réaliserez que, jusque-là, seuls les bricolages extérieurs au bateau ont été mentionnés ! (4) A l'intérieur, outre les pompes dont nous parlerons très bientôt, c'est un flux constant de petites dégradations contre lesquelles la lutte s'est organisée en navigation et aux escales. Charnières qui rendent l'âme à force de rouille, équipet baillant qui déverse sa cargaison de chaussures à chaque coup de gite prononcé. Dans la cuisine se multiplient les instruments éclopés: poignées de cocottes ressoudées, fil de fer sur le capuchon de la bouilloire, collier métallique sur la poignée de la cafetière, butées du réchaud reconstruites avec un morceau d'aluminium récupéré dans une vieille lampe, les opérations de prolongation de vie leur confèrent un look de baroudeur pas déplaisant. Plusieurs éclairages clignent encore de l’œil à cause de l'humidité, le plafond s'écaille par endroits, l'écran du GPS perd quelques lignes d'affichage chaque saison, et même l'ordinateur, parfois, refuse de démarrer tant qu'on ne lui a pas dit bonjour gentiment (5). La dernière panne domestique que nous ayons eu à déplorer - surtout Ariel - est un court-circuit mortel pour la radio du bord, sur laquelle nous écoutions la musique, celle de Rolando et des Arcavocès, le Tango et la Cuenca, les Brésiliens et les Cubains. Autant vous dire que le budget de remplacement a été voté à l'unanimité dès que l'avis de décès nous a été confirmé par l'expert du coin. Cela dit, les intérieurs ont également bénéficié de toute une série de petits travaux d'amélioration savoureux, comme les sièges du carré qui s'éventraient après tant d'années de maltraitance. Ils sont refaits avec cette fois-ci de la mousse haute densité, améliorant substantiellement le confort de nos petits culs fragiles. Quelques sangles judicieusement placées facilitent tellement l'ouverture de nos soutes à provisions qu'on se demande pourquoi on a attendu dix ans pour s'en occuper ! En outre une série de petits paniers tressés ad'hoc s'est glissée dans notre quotidien comme vide poche, pot à crayons, présentoir à épices, panier à pain, dessous de plat et autres couvercle anti-mouches.
L'extérieur de notre fier navire présente certes quelques cicatrices de guerre, qui ne nous dérangent guère, mais grâce à notre résistance farouche, l'intérieur ne perd pas ses qualités de presque véritable maison. En outre, les incidents les plus sérieux sont survenus à des moments incroyablement propices, comme si les équipements avaient voulu rester loyaux avec nous jusqu'à l'épuisement. Par exemple, Barkaï n'a fini d'user sa drosse, au milieu de la nuit et en plein coup de vent qu'après s'être assuré qu'Ariel était bien dans le cockpit pour reprendre la barre à la volée. MC nous a dévoilé sa craquelure insidieuse au moment d'une manœuvre d'appareillage, nous permettant de prendre des précautions pour ne pas le perdre, avant de partir en mer. La marche arrière, quant à elle, ne s'est bloquée qu'après que nous soyons complètement sortis des canaux où elle était absolument indispensable pour nous positionner dans les caletas étroites. Elle a même fait mieux en matière de loyauté, en rendant son tablier alors que nous étions déjà amarrés à un petit ponton, contrairement à tous les pronostics issus de la loi de Murphy. Quelles chances !
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Pour tout vous dire, je soupçonne Ruth, Barkaï et MC de bavarder dans notre dos pendant leurs quarts.
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Un petit mot au passage pour signaler aux soucieux de notre sécurité que, la sagesse venant, nous sommes considérablement plus prompts à endosser le harnais capelé aux lignes de vie qu'au début du voyage.
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Achat, importation, démontage, adaptation, remontage, sans garantie que le neuf fonctionnerait aussi bien que le vieux. La qualité, ma bonne dame, n'est plus ce qu'elle était.
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Cela dit, à propos d'extérieurs, tout va bien du côté du gréement et des voiles que nous avons soignés pendant les hivernages et traités avec beaucoup d'égards dans les météos difficiles. Qui veut voyager loin, n'est-ce pas … C'est le bon moment pour rappeler que Skol est un bateau à voile et que, de ce point de vue-là, il est en excellente forme.
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En ce qui le concerne, dix-huit ans d'âge dont onze ans de bons et loyaux services à notre bord inspirent le plus profond respect et l'élèvent sans doute au rang des équipiers qui mériteraient un prénom.