Je n’ai pris connaissance que très récemment de l’existence de cette théorie dite « de l’effondrement » , de ce mouvement dit « de la colapsologie » qui traite de la conjonction des mécanismes d’épuisement des ressources minérales et biologiques simultanées à de nouvelles crises monétaires, le tout sur fond de réchauffement climatique. Pour le moment je n’en ai lu qu’un ouvrage - celui de Pablo Servigne et Rafael Stevens (1) -, et écouté quelques heures d’interviews, mais c’est comme si le propos révélait quelque chose que je savais déjà et à quoi, inconsciemment, je cherchais un nom.
Ca va bien finir par s’épuiser un jour. Ca va bien finir par péter, disons-nous. On va dans le mur avec notre surconsommation énergétique et notre gaspillage de toutes les ressources mises gracieusement à notre disposition par la nature. Le capitalisme ne peut pas continuer ainsi, disons-nous, ou plutôt se disent certains d’entre nous. Pourtant, ce « nous » imprécis continue à porter au pouvoir des fanatiques de la croissance et des promoteurs de la consommation capitaliste et de la financiarisation de l’économie dans presque tous les pays du monde occidental. Les théoriciens de l’effondrement sont des gens qui mettent bout à bout toutes les informations scientifiques dont nous disposons dans tout un tas de domaines scientifiques habituellement disjoints et qui regardent l’image cumulée de toutes les mauvaises nouvelles d’ores et déjà connues. Le réchauffement climatique n’est plus une hypothèse mais un processus déjà engagé avec une inertie telle qu’il est maintenant trop tard pour l’empêcher. Le pic pétrolier est déjà passé. Le pic de beaucoup de matières, d'ailleurs, au point qu'on parle de peak everything. Et ainsi de suite dans de multiples champs de connaissance. Leur conclusion est que les sociétés basées sur le pétrole et la monnaie virtuelle sont en train de vivre leurs dernières décennies, voir leurs dernières années.
Regarder l’image complète est douloureux, nous, l'espèce humaine, avons déjà fait tant de dégâts et de bêtises, mais la douleur se transforme. Pour moi, elle s’est transformée en sens. Tout à coup prenait sens la conjonction des modifications que j’ai apportées à ma vie ces dix dernières années, comme si une intuition, un pressentiment, une forme de connaissance plus organique que cérébrale, m’avait attirée sur des chemins convergents, dans des domaines différents. Ou bien comme si différents virages que j’ai pris dans ma vie pour des raisons que je croyais toutes personnelles s’avéraient me rapprocher, toutes, d’un cheminement ultimement universel, la survie de l’espèce humaine. Me voilà de nouveau à tenir des propos grandioses mais je persiste car il s’agit bien de cela. Notamment, quand je me formulais ces derniers temps le projet d’apprendre la permaculture, c’était bien, entre autres, dans l’idée très vaguement formulée que quand il n’y aurait plus de pétrole pour transporter la nourriture, il faudrait bien savoir la produire soi-même, n’est-ce pas ? J'espère ne pas avoir été la seule à être en quelques sortes téléguidées par le cosmos pour converger chacun à son rythme dans une grande vague mondiale (occidental) d'assainissement de nos modes de vie.
Servigne et Stevens évoquent les mouvements de transition et écrivent « la transition pourrait finalement être comme un acte de « débranchement » ». Dans leur propos, se débrancher du système industriel consiste à renoncer à l’avance à ce qu’il fournit avant d’être obligé de subir les pénuries. Mais moi, le renoncement, je connais déjà un peu ! Dans ma vie de marin rustique « sans-four-ni-frigo -ni-voiture-ni-achats-compulsifs », j’ai déjà fait une partie (non négligeable ?) du chemin. Et j’aime cette vie rustique, simple, dépendante de la nature pour plein de choses, allant de la mobilité conditionnée par la puissance et la direction du vent à la recharge de mon ordi limitée par la production du panneau solaire, sans compter l’eau dont nous ne transportons que cent cinquante à deux cent litres dans nos fonds, pour des navigations de plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Je reviendrai bientôt sur le sujet de la rusticité, il me tient à cœur.
J’aime bien l’idée que l’aventure agricole à laquelle je me prépare se traduira pour moi par une série de débranchements supplémentaires, à mesure que je remplacerai, dans mon alimentation, des nourritures achetées par des nourritures produites à la maison ou échangées avec des voisins. Lors de mon retour en France, dans quelques mois si le cosmos veut bien, il s’agira de faire attention à ne pas se raccorder à trop de réseaux déjà débranchés, histoire de ne pas faire deux fois le travail de renoncement ! Revenir ou pas à l’eau courante illimitée ? Même l'eau courante tout court me chiffonne, j'aime tant le contrôle précis qu'on a de sa consommation avec la pompe à pied, tout en gardant les mains libres. Rebrancher mes machines au courant 220V illimité ou pas ? Ne pas revenir au gaz de ville ni au chauffage à 19° en hiver. Si possible ne jamais recommencer à chasser mes crottes avec de l’eau potable.
Pour en revenir au sujet de l’effondrement qui vient, la question qui reste en l’air est celle du moment où cela va se produire. Combien de temps nous reste-t’il pour nous préparer à un monde dans lequel les services rendus par le système industriel se feront incertains et de plus en plus chers ? Les auteurs parlent de 2025 ou 2030 comme moment probable de la bascule mais je n’ai pas envie de les croire sur parole, parce qu’alors une sorte d’angoisse d'urgence monte en moi et qu’elle ne me fait pas du bien. Non, je préfère me dire que ça viendra plus tard, et que j’ai le temps de faire les choses bien, de choisir un bon lieu pour m’implanter, de (continuer à) me former auprès de gens déjà avancés dans la voie de la permaculture, ou de l’agroecologie ou de l’agroforesterie et d’apprendre en pratiquant. J’avais décidé de le faire de toute façon, pour de multiples raisons, alors rien ne sert de me mettre la pression. Et vous ? Comment vous alimenterez vous dans vingt ans ?
- "Comment tout peut s'effondrer. Petit manuel de colapsologie à l'usage des générations présentes" de Pablo Servigne et Rafael Stevens
Bonjour Isabelle,
Tout cela fait réfléchir, en effet.
J'ai commandé le bouquin en question en France. J'ai demandé de me le livrer par avion ici, aux Canaries...mais non,... Je blague ;-) Je l'ai acheté en format électronique pour ma liseuse.
J'aurais pu (dû) aussi attendre qu'on se rencontre aux Açores pour te l'emprunter. Comme quoi : pas facile de changer ses habitudes, notamment celles qui privilégient les solutions immédiatement accessibles.
Courage pour ton jeûne !
Rédigé par : Yves sur la Curieuse | 26/03/2019 à 14:25
Bonjour Yves,
Tu sais, je ne suis totalement débranchée de l'internet et ses merveilleux services que quand nous sommes en pleine mer ou dans les endroits trop reculés du monde.
J'adore les livres électroniques, même si, selon cette théorie de l'effondrement, nous ferions mieux de préparer une bibliothèque papier pour les ouvrages de référence à longue utilité (les livres de jardinage, d'auto-construction, de bricolage low-tech, par exemple).
En plus si tu le lis dès maintenant on peut en discuter en commentaires ou bien quand nous arriverons aux açores.
10ème jour de jeûne et tout va bien. Déjà deux textes de plus en finition...
Rédigé par : isabelle | 26/03/2019 à 15:11
Bonjour Isabelle,
Je n'avais pas vu que tu avais ce petit blog,pourtant je vous suis depuis le début sur Skol ( je suis un peu voileux )
Je viens de finir de lire plusieurs excellents livres de Perrine et Charles Hervé-Gruyer chez Actes Sud :
Permaculture, Guérir la terre, nourrir les hommes
et les trois tomes : vivre avec la terre
Ces lectures mettent du baume au coeur et un bel
" enthousiasme " face à l'effondrement à venir.
Je vous souhaite un bon retour et bon vent !
Cesar
Rédigé par : cesar | 04/08/2019 à 11:45
@ Cesar : je me suis précipitée pour acheter "vivre avec la terre" qui est sorti en mai , mais il semble qu'il soit déjà épuisé! J'espère qu'Actes Sud va rééditer rapidement.
Rédigé par : isabelle | 25/08/2019 à 12:17