Aux mois d’aout et septembre derniers, durant une longue escale en Uruguay, nous avons postulé pour une sorte de woofing, deux à trois jours par semaine de travaux maraichers. J’ai adoré cette expérience. Voilà un petit texte que j'avais écrit peu de temps après mais oublié de publier.
Le travail de la terre laisse du temps à l’esprit pour s’évader. Nettoyer le poulailler ne me demande pas de réfléchir beaucoup. Le désherbage devient vite routinier, même s’il sollicite des muscles nouveaux. La pensée vagabonde. Ma pensée de navigatrice penchée sur la terre se promène à la recherche des similitudes et différences entre la vie d’horticultrice et la vie sur l’eau. Je cherche activement ces similitudes, pour prendre des repères, m’assurer que je comprends ce que ce projet implique. Si je peux comparer les deux modes de vie, j’aurai peut-être une meilleure évaluation des difficultés auxquelles il faut me préparer, non ? Alors bien entendu j’en trouve, des mises en parallèle, des comparaisons, des équivalences.
La complexité des imbrications de tâches de court, moyen et long terme me frappe, avec cet aléa, cette imprévisibilité qu’apporte la dépendance aux conditions climatiques. On va planter ou récolter si le temps le permet. La dernière tempête a dévasté une des serres, ce qui bouleversera le travail à la ferme pendant quelques semaines.
Les questions de conception sont aussi importantes pour une ferme que pour un voilier. Les arbres plantés il y a trois ans sont presque tous morts, à cause de trop d’eau dans la terre trop argileuse et trop de vent sur ce terrain plat. Il aurait fallu penser leur implantation tout autrement. Buttes, coupe-vent, ou même variétés distinctes pour obtenir un meilleur succès. Une fois le terrain acheté, c’est comme le bateau, on doit s’y habituer et faire avec ses qualités et ses défauts, qui ne peuvent être modifiés qu’à la marge ou alors sur le très long terme.
La durée d’apprentissage peut également être mise en parallèle. On peut naviguer dès le premier jour mais il faut des années avant d’être véritablement autonome et en sécurité (relative). On peut planter chez soi dès la première saison mais on peut aussi prendre quelques années pour aller travailler la terre chez les autres et y apprendre les bases, afin de ne pas tout découvrir par soi-même. Sinon, le chemin vers l’autonomie alimentaire risque d’être long….
La variété des rapports la terre me semble aussi vaste que celle des rapports à la mer. On trouve des agriculteurs mécanisés et dopés aux engrais chimiques comme des voileux qui utilisent leur moteur dès que leur moyenne est en baisse. A terre comme en mer, on rencontre des rustiques écolos et des productivistes. Bien entendu, nous avons choisi d’offrir nos services à une ferme agro écologique. L’état d’esprit est d’entretenir une relative biodiversité des plantes et du sol sans pesticides ni engrais chimiques. Compost enrichi aux déchets de poissons et inoculation régulière de microorganismes efficaces natifs. Un plant de tabac pour attirer les moucherons. Les poules qui gambadent librement dans la journée.
Il y a tant de combinaisons, d’associations bénéfiques à découvrir et à comprendre pour bien les utiliser que j’envisage cette prochaine étape de ma vie comme une nouvelle aventure grand format. Une aventure dans laquelle rencontres, apprentissages, expériences, essais et échecs, engagement intellectuel et engagement corporel seront présents, aussi longtemps que possible. J'y laisserai s'exprimer librement ma compulsion pour le "multitâchisme" !
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