Sur les routes de France, avec ma fille, pendant dix jours. Un parcours tricoté avec soin entre destinations de mon cœur et destinations de son cœur. Nous faisons une première escale en Bourgogne où se trouve la Forêt Gourmande (1) que je tenais absolument à visiter en cette saison, avant d’y revenir j’espère au printemps, puis nous filons en Suisse pour quelques jours. Le trajet nous montre une France encore bien boisée, mais les éoliennes me font frissonner. Elles ont un aspect sinistre avec leurs têtes haut perchées et le mouvement lent de leurs ailes, comme les extra-terrestres de « la guerre des mondes », qui avanceraient dans le paysage à la recherche d’un méfait à accomplir. Cette sensation de menace vient sans doute d’une prise de conscience qu’au rythme où nous (ne) baissons (pas) notre consommation énergétique, il va en falloir partout, des engins à vent. Nous allons être proprement envahis. (2)
En suisse, Julie retrouve une amie très chère et je rends visite à un jeune marin cap-hornier que j’aime bien, tout là-haut dans la Petite Sibérie. Il neige, ça me fait tout drôle en première moitié de novembre. La saison cultivable est bien courte, dans ces contrées. Chacune dans son canton, ma fille et moi bavardons entre autre de potager. Le jeune Robin, ingénieur hydraulicien, rêve d’une vie à cheval entre la ville et la campagne, entre un boulot rémunérateur et un potager nourricier, pour peut-être, plus tard, s’engager dans le maraichage rémunérateur. Nous examinons la cabane familiale du point de vue des microclimats, entre ingénieurs aspirants jardineux L’amie de Julie est membre d’un petit collectif de vie et de potager, assez récent. Je m’amuse d’y voir combien les suisses peuvent appliquer les consignes permacoles scrupuleusement, avec rigueur et une véritable attention à la beauté. Les planches potagères sont copieusement paillées, mais bien droit, pas dans tous les sens, la matériauthèque est parfaitement étiquetée, et surtout, merveille des merveilles, la porte du cabanon des toilettes sèches (3) donne vue sur le Mont Blanc. Royal.
Quand nous quittons la Suisse pour retourner en France, nous traversons une tempête de neige inattendue, je n’avais pas regardé la météo. Voilà comment on perd vite les bonnes habitudes ! (4) Une très longue journée de route, occasion d’échanges approfondis entre mère et fille, ça faisait si longtemps qu’on n’avait pas eu ça. Nous refaisons connaissance. Ça pique parfois. Et parfois ça éclaire d’un jour nouveau les choses en cours. Notamment, ses remarques ciblées et percutantes modifient tout à coup la couleur de mon achat de terre aux Açores. Ce qu’elle me renvoie, c’est la dimension non éthique de ce projet, le fait d’utiliser mes moyen bourgeois pour préparer une fuite, comme nos élites détestées le font lorsqu’elles s’aménagent des bunkers ou envoient leurs enfants grandir en suède en prévision du réchauffement climatique. Il ne fera pas bon vivre dans un bunker, et l’émigration vers le nord n’épargnera pas les accidents climatiques. Et les Açores ? Seront-elles si agréable à vivre ? Il n’y a pas que le climat et le paysage dans le bonheur. Je me posais les bonnes questions mais la réponse azoréenne n’est pas la bonne. Je décidais seule de la possible migration-fuite de ma famille qui ne m’a rien demandé. L’endroit où il fera bon vivre c’est l’endroit où les liens humains seront les plus aidants, les plus aimants. Que n’ai-je attendu cet échange pour signer le compromis ! (5)
Dans le limousin, nous avons fait deux escales proches. La première au sein d’un collectif de vie à faible empreinte écologique de vingt ans d’âge. Je voulais voir d’un peu plus près à quoi ça ressemble un éco-lieu, un éco-hameau. C’était le premier que je visitais, il y en aura d’autres. Mais déjà je comprends qu’il y a de multiples manières de constituer un collectif, qu’il n’est pas indispensable de réunir la troupe avant de démarrer, que le groupe peut s’assembler au fil des ans, pour autant que les premiers aient eu les moyens d’acheter une terre assez grande, ou que les terres voisines viennent à être vendues. Ben oui, je n’ai jamais eu l’intention de vivre à l’année aux Açores avant les prémisses de l’effondrement. Mes interrogations sur mon futur style de vie en France étaient déjà présentes depuis longtemps. Donc je commence à engranger des informations, des perceptions sur le fonctionnement des collectifs de vie. Pour remercier ces gens de leur accueil, nous donnons quelques heures au jardin, et nous nous retrouvons assignés à la tâche emblématique des woofers débutants : le désherbage ! Je m’exclame parce que justement, le désherbage est une activité qui signe une approche du potager traditionnelle, qui n’a pas ma préférence.
La seconde escale limousine est aux Jardins Sauvages, une petite ferme de maraichage en agriculture naturelle. Sans travail de la terre, sans engrais, sans pesticides ni aucune forme de traitement. Ni désherbage (ou très peu). J’ai déjà passé en octobre une petite semaine à travailler aux côtés de Yann dans son maraiche, mon corps a commencé à engranger des savoirs diffus sur comment ça fonctionne, j’avais envie de montrer à ma fille ce lieu où je vais approfondir mon apprentissage en 2020. J’aurai l’occasion d’en reparler. Julie s’amourache du petit garçon de la maison, elle en veut un tout pareil. Ca fait plusieurs fois qu’elle évoque une maternité au futur, et non plus au conditionnel, mon cœur de grand-mère putative frémit de joie.
Enfin, dernière escale de ce périple, la grand-mère de Julie, mon ex-belle-mère, pour qui j’ai gardé moi-même une profonde affection et un infini respect, vu la manière dont elle met en musique ce rôle précieux. Mes enfants l’adorent. (6) Cette escale était le but final de notre boucle, pour permettre à Julie de passer du temps avec sa grand-mère et ses cousines. J’en profite tout de même pour parler de mon fils avec la doyenne. Il me reste encore de la route à faire avec lui, un cheminement intérieur pour tenter de le rejoindre là où il est, faire connaissance de nouveau également.
- La Foret Gourmande est une association de Jardins-Forêts et une jeune forêt comestible de 8 ans d’âge dont la visite est passionnante, même en cette saison. Je suis désormais membre de l'association moi aussi.
- Aggravation du tableau, j’ai appris récemment qu’une portion significative de la production éolienne occidentale est en fait consommée par les plateformes pétrolières pour économiser du carburant !
- En dix jours et cinq escales, seule la dernière sera en toilette à eau. C’est une des petites conséquences agréables de l’évolution de mes centres d’intérêts.
- En revanche mes vieux réflexes se sont réveillés, vitesse réduite pour la prudence, mais inutile de s’arrêter tant que ça passe, car notre cap à l’ouest et en descente nous fera traverser la tourmente plus vite.
- Il faut dire que j’étais soumise à forte pression de la part du vendeur qui avait hâte de sécuriser le deal, c’est normal, mais aussi de mon futur-ex-compagnon qui, sourd à mes réticence et à mon besoin d’un temps de réflexion, s’agaçait de ma lenteur.
holá,
indéniablement, au vu des photos illustrant ce post, vous avez ta fille et toi, bien pris votre pied ! ;-))
Yves
Rédigé par : La Curieuse | 12/12/2019 à 10:21
@ Yves : La coquine n'a jamais passé son permis de conduire, donc elle se la coulait douce avec le copilotage et la préparation du thé. Je rêve maintenant d'une escapade rien qu'avec mon fils, pour renouer les fils distendus.
Rédigé par : isabelle | 12/12/2019 à 10:24
Quel plaisir de retrouver tes blogs, Isabelle. Cela me réconforte et me pousse à réaliser mon projet. Ton cheminement résonne tellement en moi!
je compte aussi me former (un peu) et créer ou m'intégrer dans un collectif. Si tu le veux bien, prends contact avec moi quand tu es dispo sur Paris. Ce soir, je vais au salon Nautic! A bientôt Patricia
Rédigé par : Patricia | 12/12/2019 à 16:29
@ Patricia : Merci !
L'autre blog va bientôt s'achever, maintenant que le voyage est terminé et le couple séparé.
On pourra parler d'expériences du collectif dans les mois qui viennent, je suis en recherche sur ce sujet.
Paris, non merci ! En ce moment c'est impraticable et je ne blâme par les grévistes pour ça. Je me tiens juste à l'écart.
Je file bientôt vers la Bretagne pour la fin d'année, la famille, d'autres rencontres, d'autres expérimentations agricoles.
Rédigé par : isabelle | 18/12/2019 à 17:42