A l’automne dernier, Yann a semé une de ses parcelles en blé, car lui aussi aimerait bien s’y mettre, ou bien est-ce mon projet qui lui a donné des idées ? Semé à la volée dans les résidus de la culture précédente, nous en avons observé le développement pendant l’hiver, puis au printemps. Sans traitement ni engrais, bien sûr. Après un petit passage à vide en fin d’hiver, le feuillage un peu pâlot, il avait repris vigueur et verdeur. J’espérais pouvoir me trouver sur place pour la récolte, qui allait se faire à la main. Je m’imaginais penchée et avançant à petits pas, maniant la faucille en décontractant les épaules, remplissant mon sac de quelques kilos de grain doré. Jusqu’au petit texto contrarié qui m'annonça que le blé était foutu. Il avait versé pendant un de ces orages fameux que nous avons tous connus en juin. Sans doute le semi était-il un peu trop dense.
Leçon enregistrée : ce n’est pas parce qu’on a su faire pousser des céréales en Couverts Végétaux magnifiques pendant plusieurs années qu’on sait produire du grain. Le cycle de la graine à la fleur n’est que la moitié du job, il reste à savoir le conduire de la fleur au grain mûr sans le perdre en route.
En attendant de savoir calculer et exécuter une densité de semi adéquate et découvrir quelles autres avanies menacent les céréales avant la récolte, j’ai profité d’une journée de découverte dans une ferme Terre de Liens qui organisait une moisson manuelle et collective de semences de blés de pays. Petites parcelles de 10 à 50m2, récolte sélective des plus beaux épis, pour entretenir et améliorer les lots. Du collectif pour faire du commun, au sein du réseau des Semences Paysannes. Magnifique.
Manipuler le blé sur pied à maturité, voir de mes yeux et du bout de mes doigts à quoi ressemble un blé mûr, un blé pas tout à fait assez sec, examiner en un jour une dizaine de variétés, des barbus et des glabres, des blonds et des rouges, des variétés uniques et des mélanges dits « population ». Découvrir dans mon corps le coût de la récolte manuelle, puis, dans les jours suivants, sur les quelques centaines de grammes glanées pour mon propre compte, jouer à battre et vanner à la main, pour produire mes propres semences de blé paysan.
Les moissons étaient en cours un peu partout en cette fin juillet, j’ai glané une bordure de champs de « chevignon bio » après avoir observé la moissonneuse-batteuse passer sous mes yeux attentifs, elle et ses centaines d’esclaves énergétiques au travail. J’ai piqué quelques épi d’épeautre ailleurs, dont le décorticage m’usera les bouts de doigt pendant plusieurs soirées.
Prête pour l’automne!
Nota:
Depuis quelques trimestres, je découvre la culture des céréales principalement pour leur contribution à l’aggradation du sol. Leurs racines participent à sa restructuration et leurs tiges, couchées, forment un paillage protecteur, puis, en se dégradant lentement, une nourriture pour la vie souterraine. Les couverts végétaux doivent être couchés au stade de la floraison : un peu de pulpe s’échappe des épis, les grains ne sont pas encore formés. Justement, dans cet usage des graminées, on souhaite que la matière vivante soit dans la tige, pas dans la graine où elle sera plus concentrée, mais moins disponible à la recirculation.
Mais les céréales m’intéressent aussi en tant qu’aliment pour l’humain. Je ne me passe pas volontiers de pain, ni de riz, de sarrasin, de quinoa, sauf pendant mes jeûnes. Ce n’est pas qu’une question d’habitudes alimentaires ; vous connaissez, vous, les plantes vivaces qui fourniraient la ration calorique et les acides aminés en suffisance pour une alimentation quasi-végétarienne ? Et quand bien même on se mettrait aux chênes à glands comestibles, au sarrasin vivace et aux châtaignes de terre, il faudra encore quelques années, voire quelques décennies, pour développer une filière de production sérieuse, ne serait-ce qu’à l’échelle familiale. Tandis qu’avec les céréales, ça semble un peu plus à ma portée pour le court terme.
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.