J’ai rendu visite début septembre à quelques planches cultivées en pays d’Auray que je n’avais pas vues depuis deux mois. Les échanges du groupe sur slack prenant rendez-vous pour se retrouver « au jardin » ou postant les images sympas m’avaient plus ou moins tenue au courant du déroulement de la saison estivale. Les poireaux plantés après mon départ début juillet, ainsi que les légumes-racine dont je n'avais vu que le semi en godet étaient bien là. Les tomates ont grandi puis rapetissé sous l'effet du mildiou. Tous m’ont semblé bien assoiffés. La décision d’arroser n’a pas été prise de toute la saison, je crois. Bon, d’accord, le mois de juillet a été bien humide, mais depuis quelques semaines, plus une goutte n’est venue du ciel. Les plantes survivent mais ne produisent pas beaucoup. On reviendra sur cette question au débriefing de fin de saison.
Les haricots secs, qui étaient prometteurs en juillet, ont été ravagés à plusieurs reprises par les chevreuils apparemment friands de fleurs et de jeunes pousses. J’étais contente d’être seule pour voir l’ampleur des dégâts, ce qui a épargné aux autres le spectacle de ma contrariété, que j’aimerai bien savoir dissimuler, parce que je sais qu’elle ne dure pas. Ça m’apprendra à mettre tout mon stock de semences dans une seule saison et un seul lieu (1).
Pour me donner le sentiment d’agir, même si tardivement, j’ai cueilli quelques ronces que j’ai disposées autour des restants de plants expérimentaux issus de semences confiées dans le cadre d’un programme européen et sur le développement desquelles j’étais supposée rendre des comptes. Quels comptes rendre quand la protection n’a pas été assurée ? Variété A : un pied sauvé qui porte deux gousses pas bien grosses mais je ne saurai peut-être jamais si c’est leur taille normale ou juste des avortons contraint par le broutage. Variété E : deux pieds sauvés, vingt gousses bien formées, on en tirera de quoi semer de nouveau l’an prochain, chouette. L’installation des petites cages de ronces m’a semblé évidente ce jour-là comme mesure conservatoire, au cas où les chevreuils reviennent mais je n’ai pas pensé à suggérer ce geste à travers l’écran, ni par téléphone, pendant l’été.
C’est une des leçons de cette première année d’agriculture en distanciel. La difficulté à suivre ce qui se passe, à moins d’avoir sur place des observateurices méticuleu-ses dans leurs description des faits. La difficulté à prendre des décisions sans présence physique à la situation, d’autant plus lorsque c’est le premier cycle sur un site nouveau avec des participants eux-mêmes en rodage. Ah, oui, et moi-même en apprentissage ! Donc au fond, on ne s’en sort pas si mal pour une première année, hum?
Même chose en Limousin: entre les échecs, les décisions difficiles à prendre, les sangliers, les semi-réussites et quelques belles surprises, la saison est riche d’apprentissage. L’ail est magnifique et les couverts d’été de cette année sont nettement mieux réussis que celui de l’an dernier.
Un troisième groupe, lui aussi en pays d’Auray, a bâché sa première parcelle cet été, pour un semi de couvert à l’automne, et je viens d’entamer les discussions pour un quatrième, en Finistère, peut-être au printemps prochain.
La conduite simultanée de plusieurs sites de couverts végétaux éloignés de quelques heures de route les uns des autres peut s’envisager dans la durée. C’est ainsi que je suis tranquille avec l’espèce d’engagement que je prend quand je fais un premier semi de couvert, qui demandera des suites. Je peux également assurer l’installation de cultures peu exigeantes en conduite. Mais les tomates, courgettes et autres haricots verts auront toujours besoin que quelqu’un, sur place, endosse la responsabilité du suivi, des soins et de la récolte. Voilà matière à clarification avec les groupes : c’est en fonction du type d’implication envisageable qu’on choisira les légumes à implanter et non pas en fonction d’une récolte espérée !
Je me souviens de mes débuts dans la vie active, lorsque j’avais, contre l'avis de mes aînés, démarré une activité de formatrice et consultante en Qualité, avant de maîtriser le sujet. Cette période pendant laquelle je proposais mes services de débutante sans m’en cacher a été d’une incroyable richesse formatrice pour moi, en comparaison à un premier job dans une seule entreprise. Aujourd'hui, je connais donc la valeur de ce que j’apporte, à défaut d’expertise et d’expérience confirmée : ce que j’ai déjà appris n’est pas négligeable, je continue à me former, à lire, à rencontrer des agriculteurs intéressés à ces pratiques douces pour la vie du sol, je suis mentalement disponible pour me concentrer sur cette tâche, je fais circuler l’information et les observations d’un site à l’autre. Une fois de plus, je me sens à contre-courant des postulats du secteur professionnel dans lequel je tente de prendre place, mais cette fois en tranquillité. Peut-être suis-je en train de créer un métier. Peut-être ne serais-je pas "exploitante" moi-même avant plusieurs années. Quien sabes ?
- Surtout des variétés qui avaient déjà poussé dans des sols non travaillés, des « champions » dont j’attendais qu’ils ouvrent des lignées locales adaptées. Deux ans de perdus.
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