Les nouvelles du monde et du climat sont là, en permanence. La détérioration des conditions de la pérennité de la vie humaine sur terre est rapide. Ça fait peur. Même si, ici du moins, l’été qui s’achève a été tout à fait breton en températures et en pluviométrie, c’est à dire humide et frais, ce n’était pas une certitude à l’époque des semis, et le doute sera encore là l’an prochain. D’autres régions ont vu un été hors des moyennes. On navigue a vue. Nous devons absolument préparer pour le long terme des cultures et des pratiques alimentaires compatibles avec une grande variabilité du climat d’une année sur l’autre.
En parallèle, la tournure que prennent les politiques me laisse découragée et inquiète. Dans un monde qui porte au pouvoir des personnages complètement déconnectés de la matérialité de la vie, dispensés des questions de subsistance, et engagés dans la « course au gâchis » (1), les risques que fait porter à la santé, à la capacité de subsistance et donc aux libertés humaines la concentration, entre les mains de quelques multiationales, de fonctions aussi essentielles que la production des semences sont incommensurables. L’histoire nous a démontré que les intentions initialement belles de beaucoup d’institutions centralisées ont été finalement dévoyées par des intérêts capitalistes. Les coopératives paysannes des années soixante sont devenues des conglomérats internationaux, le projet de « nourrir la terre » de la révolution verte s’est transformé en asservissement de paysans autonomes devenus agriculteurs endettés pour l’engraissement des agro-industriels. Et avec la montée des bras de fers entre les tenants du système prédateur et les aspirants à une vie décente pour les générations à venir, nous voyons bien où va la loyauté des institutions chargées du « maintient de l’ordre ». A quand le contrôle d’identité et le fichage des comportements pour accéder à la nourriture ? Après tout, y a déjà contrôle d'identité et fichage pour manifester pacifiquement son désaccord à la destruction d’un bocage ou à la plastification d’un champ.
L’échelle dérisoire de mes petits projets de semencière me saute régulièrement au visage, d’autant plus que je comprend désormais mieux dans mon corps la limite de mes moyens et la finitude de ma capacité à contribuer. Mais que faire, sinon continuer là où j’ai le sentiment d’être à ma juste place ?
Au risque de faire basculer ce blog dans une routine purement paysanne, j’ai envie de déposer ici mes petites avancées dans ce domaine. Point d’étape sur les protéines d'hiver.
Les cultures capables de pousser dans le froid sont intéressantes, car elles représentent une opportunité de produire de la nourriture en s’appuyant sur les pluies d’hiver et de printemps, alors que les cultures d’été devront de plus en plus souvent se débrouiller avec le sec, ou bien être irriguées. Jusqu’à maintenant, dans la catégorie des légumineuses, légumes secs, source de protéines, et dans la saison du premier groupe, semé en hiver, je ne cultivais que les fèves. J’ai rajouté cette année les pois d’hiver, qui sont consommés en sec dans pas mal de régions du monde, cuisinés comme des haricots secs. Et j’ai avancé mes dates de semi des lentilles et pois chiches que j’avais tendance à semer trop tard auparavant, croyant que leur saison était celle du second groupe. Du coup, les lentilles avaient moins de chances de pouvoir bien sécher avant les pluies d’automne, et les pois chiches, quand à eux, n’avaient même pas le temps d’arriver à maturité. Je suis contente d’avoir maintenant 4 cultures de légumineuses dans ce groupe hivernal. C’est une sécurité pour l’avenir.
Fèves métissées : 5kg sur 15m2
J’espérais pouvoir en cueillir en frais pour consommation immédiate, mais le moment venu, la production m’a semblé trop faible. Trop de pluie au moment de la pollinisation, peut-être. Ou bien fatigue consécutive aux pucerons que je ne traite jamais. J’ai eu peur de déshabiller les rangs et de ne plus avoir assez de récolte en sec. Je me suis donc retenue. Il y a eu une seconde floraison pas très abondante, mais qui a un peu augmenté la récolte. J’ai aussi imaginé un temps commencer une forme de sélection à la récolte, en choisissant de mettre de coté les moins productives ou les plus tardives, mais j’ai finalement tout pris. Le mix récolté est équilibré en couleurs et en calibre. Aucune des lignées n’a dominé. Je suis contente de ce détail, qui me donne l’impression d’une population qui commence à se stabiliser, après quatre années de brassage.
Pois métissés : 1,75 kg sur 3m2
D’une centaine de grammes semés, une belle multiplication. J’adore cette plante, les gousses jeunes sont sublimes à déguster en cru, comme ça, en passant au bord du rang. Heureusement les membres les plus gourmand-es du collectif se sont abstenu-es d’en faire autant. Bel équilibre des couleurs et calibres là aussi. J’ignore depuis combien de temps cette population était cultivée en mélange, je la traite donc comme une seconde année, mais il se pourrait qu’elle soit plus ancienne et donc plus stable que cela. En tout cas elle est vigoureuses dans son développement et productive en fleurs et gousses.
Lentilles métissées : 1kg sur 4m2
Bien plus réussie que l’an dernier, où je n’avais obtenu guère plus que ce que j’avais semé, la faute aux limaces. Je suis donc repartie d’un mélange de variétés commerciales, un GREX, comme on dit, dans lequel j’ai juste rajouté ma maigre récolte 2023. J’ai traité avec beaucoup d’égards cette petite expérience, et je l’ai récoltée dès qu’elle a donné des signes de maturité, bien plus tôt que les lentilles vertes. Je l’ai battue dès que ça a été possible, sans attendre que les gousses s’ouvrent toutes spontanément, quitte à y mettre une main d’oeuvre que personne ne pourrait se permettre d’investir dans de la production alimentaire. Les cultures semencières en phases critique de métissage méritent plus d’attention et de labeur que les cultures pour la cuisine, car c’est la génétique plus que la quantité produite qui compte. J’ai maintenant une base partiellement acclimatée, possiblement métissée, de quoi troquer avec qui voudra et continuer l’an prochain.
Lentilles vertes : moins de 2kg sur 10m2
C’est une lignée de lentille verte du puys, à l’origine tirée de la cuisine, que je cultive en Bretagne pour la troisième année consécutive. Je la trouvais en bonne forme, bien développée, bien dense en végétation et en gousses au moment de la récolte, mais la pesée après battage et vannage a été tellement décevante que je ne l’ai même pas notée, je crois. En tout cas je ne trouve plus où. Au repos dans un saladier, à la suite du battage, il s’en échappait des centaines, si ce n’est des milliers, de petits insectes, charançons ou bruches, que j’avais déjà vu dans les métissées, mais en plus petite quantité. Normalement, on les élimine par deux jours de congélateur, le froid tuant les insectes et les larves. Ayant beaucoup tardé à battre ce lot-là cette année, les larves ont eu le temps d’éclore, en se nourrissant de l’intérieur des graines, qui du coup ont perdu du poids. C’est la conclusion à laquelle je suis arrivée et qu’il me reste à valider auprès du paysan du coin qui fait des lentilles, un certain Damien. Je sais déjà comment il récolte (en balles, comme moi) et je suis curieuse de savoir quand et comment il bat, et ce qu’il fait éventuellement à propos de ces insectes, à défaut de pouvoir refroidir toute sa récolte.
Pois chiches métissés : 320g sur 2m2
Une simple poignée, quelques dizaines de grammes, que j’ai récupéré dans le colis tournant de mon réseau de semencier-es amateurices et voilà une première étape de multiplication et d’apprentissage de la plante. C’est la première fois que je réussis le cycle complet, si on peut appeler réussir ce qui s’est passé et ce que j’ai obtenu. Le développement végétatif s’est bien déroulé, avec une belle densité et amplitude, des fleurs de couleurs variées me confirmant que plusieurs variétés du mélange avaient réussi à germer. J’aime beaucoup le port de cette plante, bien buissonnant et solide. Mais j’ai eu un mal fou à choisir le moment de la récolte parce que mes lectures me disaient d’attendre que le feuillage soit jaune et que je voyais les pluies endommager les gousses déjà sèches. Et puis il semblait y avoir une seconde puis une troisième floraison. Plus de la moitié des graines que j’ai récupéré étaient enveloppées d’un nuage de mycélium, sans doute lié à ma récolte tardive, dont je ne sais s’il contrarie la capacité germinative de la semence ou s’il est sans gravité. Il faudra faire des tests. L’an prochain, je verrai si la floraison échelonnée se produit de nouveau, et dans ce cas, il faudra peut-être séparer les récoltes successives, pour sélectionner selon la précocité, histoire de simplifier la conduite de cette culture. En tout cas, je suis seulement au début de cette culture là, tant en métissage qu’en mise au point du processus complet, donc c’est pas demain qu’on va en manger….
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Titre d’un des chapitres de la BD d’Hervé Kempf et Juan Mendez, que je trouve percutant. https://reporterre.net/Comment-les-riches-ravagent-la-planete-des-planches-de-la-BD-en-exclusivite
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