La vie joue à me faire sentir la banalité de mon histoire. Leçons d'humilité encore.
Un des aspects les plus insupportables de ma malaventure de séparation, je n’en ai pris conscience que très récemment. C’est la perte du sentiment d’exceptionnel et par là, l'atteinte à ma fierté : en ramenant la fin de notre histoire à une sordide arnaque aux sentiments et en se désintéressant des voies qui permettraient de sortir par le haut de l’espèce d’impasse dans laquelle sa duplicité nous a conduits, mon ex ne descend pas tout seul du piedestal, il m'en fait descendre aussi. Il endommage la belle histoire dans laquelle je croyais être. Il me ramène de force dans le banal ou je ne voulais pas aller. Merde. Même si je ne suis certainement pas la première à le vivre, ça fait mal. A l'ego mais aussi à l'âme, aux aspirations vitales.
Aujourd’hui, penchée sur la terre, le plantoir à la main et avec deux cent quarante pieds de tomate en cours d’installation, je médite sur la dimension symbolique de ma position à genoux. Contrairement aux japonais dont j’ai toujours envié cette coutume, la position m’est rapidement douloureuse. Cependant, je suis capable de la tenir, quand il le faut … ou quand j’en ai envie. Je médite aussi sur la dose d’humilité nécessaire pour faire ce que je fais. Me mettre à disposition de ce jeune maraîcher très particulier, pour, en travaillant à ses côtés, apprendre sa pratique, dans ses gestes les plus banals, aussi ardus soient-ils, justement. Car il n’existe pas encore de livre (1) dans lequel sont décrites les particularités du maraichage sous couvert végétal et puis de toute façon je n’ai aucune expérience du maraîchage, même traditionnel. Et puis de toute façon, c’est un domaine dans lequel on ne peut apprendre, à mon avis, sans engager le corps. Fin de la belle histoire de permaculture poétique et ingénieuse, bienvenue dans l'agriculture : fatigante (2), complexe et inspirante. Bienvenue au contact des limites. Et là, paradoxalement, même si ça n'est pas neuf non plus, ça fait du bien. Au corps et aussi à l’âme, aux aspirations vitales.
La pénibilité du travail certains jours est à mes yeux largement compensée par le sentiment de liberté que procure le fait d’apprendre à produire vraiment de la nourriture saine, au-delà d’un potager familial. En mesurer la difficulté me permettra de dimensionner mon projet d’installation correctement, à la mesure de mes cinquante-cinq ans. Je touche du doigt également un obstacle aux projets de repeuplement à grande échelle des métiers agricoles que rendent nécessaires nos impératifs de réduction de l’empreinte carbone de nos modes de vie. Oui, ces métiers sont difficiles, physiquement et intellectuellement, lorsqu'on souhaite se passer des auxiliaires pétrolés que sont les engrais et produits phytosanitaires et réduire drastiquement l’usage des engins à moteur. Nos « esclaves énergétiques » (3) qui brûlent la planète à petit feu nous épargnent tant de fatigues et d'inconforts !
Mais par ailleurs, l’autonomie alimentaire sur laquelle je travaille est une des clefs de l’autonomie politique. Si je peux me nourrir sans le système, je peux dire non. Alors, me dis-je en changeant de position pour remettre le sang en circulation dans mes jambes, Merde à vous les dominants et dominateurs ! Je suis à genoux, certes, mais là où j’ai envie d’être et certainement pas en soumission à ce que vous proposez.
- Aucun livre à notre connaissance, en tout cas en français. L’écriture d’un tel livre fait partie des éléments de mon « deal » avec Yann, qui ne voulait initialement pas de mon intrusion dans l’équilibre de son écosystème. Le temps de « travail » que j’apporte pour apprendre pourrait permettre qu’il consacre du temps à son projet de bouquin. A suivre.
- Et encore, je me suis épargnée les incontournables courbatures qu’on pourrait attendre de la mise en service intensif de muscles dernièrement plutôt laissés tranquilles. Pendant les 10 premiers jours de ce « stage », j’étais en jeûne et pour une raison non totalement élucidée, cet état protège des courbatures. Lorsque j’ai repris l’alimentation, l’essentiel de ma musculature avait pris les nouvelles habitudes.
- Notion que j’ai entendue pour la première fois dans la bouche de Jean-Marc Jancovici et qui m’a semblée d’une grande portée éducative.
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