Alors ? Quel est ton programme pour les mois qui viennent, maintenant que ta formation au maraichage est finie ? C’est ma fille qui pose la question et là aussi je ressens une difficulté à répondre. La seule chose certaine est que mon apprentissage n’est pas fini. Certes j'ai fait un incroyable bond en avant ces derniers mois, une accélération fantastique, mais il reste encore beaucoup à apprendre. Donc j‘y retournerai, c’était prévu depuis le début. On avait dit printemps et automne, parce que ce sont les moments de bascule des couverts végétaux. Donc l’automne est encore à venir. Et d’ici là, et après cela, mon programme est absolument incertain.
Il y a six mois, en démarrant ma petite pépinière, je comptais planter les jeunes arbres qui composaient mon début de collection, dans une terre à moi, à l’automne prochain. Sauf que plus on s’approche, plus ça s’éloigne! Je deviens prête à cultiver mais suis-je prête à m'engager dans le long terme? Bien sûr le temps qui passe repousse d’autant mes premières plantations « à moi » telles que je les imaginais et je ressens parfois cela comme une perte. Il y a aussi par moments une espèce de sentiment d’urgence, à cause de l’argent. L’argent qui est aujourd’hui à la banque et dont la capacité à me financer l’acquisition d’un terrain correct pourrait fondre (1). Mais bon, prendre des décisions sur des hypothèses d’évolution future de la valeur des choses, ça s’appelle tout simplement spéculer. Or, je tente laborieusement pour ma part de retirer les raisonnements spéculatifs de ma vie (2). Donc on verra bien.
Suis-je en train de procrastiner ? Dans le temps qui passe, certaines actions trainent en effet fort longtemps dans la liste des choses à faire, mais par ailleurs, d’autres émergent qui n’étaient pas prévues et qui ne pourraient même pas figurer dans une liste car ce ne sont pas des choses à faire. Rencontres, prises de conscience de certains enjeux et de complexités insoupçonnées, clarification de mes aspirations, dénouement des douleurs qui m’entravent encore (3). J'ai croisé des femmes en situation de transition semblable à la mienne, d’une vie non-agricole vers une vie agricole, l’une qui venait de signer un compromis pour l’achat d’une petite ferme maraichère, une autre qui entamait sa seconde année de production. Mon vélocimètre interne a tressauté un moment, et puis s'est calmé. Chacune son rythme, chacune ses arbitrages et je crois discerner dans ces projets-là des traits liés à la rapidité de décision et mise en œuvre, que je préfèrerai éviter pour moi-même (4).
Finalement, les modalités d’accès au droit de cultiver une terre sont peut-être plus variées que ce que j’imaginais l’an dernier. De la propriété effective et directe d’une parcelle de dimension convenable, à la mise en culture de la terre d’autrui, privée ou communale en passant par la participation à un projet plus vaste que mes aspirations personnelles, par l'acte de rejoindre ou créer un collectif. Il faut peut-être déconstruire la notion de propriété, de patrimoine, car peut-on réellement « posséder » la terre et les plantes, au fond ?
Bref, j'ai cru avoir mis un coup d'accélérateur en projetant d'acheter un terrain avant même de savoir cultiver. En réalité cet achat m'aurait plus ralentie qu'autre chose... Le confinement a stoppé net ce qui était en train de se remettre en route à ce moment là, mais avec le recul, ça n'était pas mûr et cette pause forcée m'a paradoxalement fait avancer en profondeur. La vraie accélération, je la trouve dans ma formation, malgré la nécessité de l'étendre sur plusieurs saisons, voire plusieurs années. Je ne sais finalement pas à quelle vitesse j'avance, mais j'avance !
- Par deux mécanismes simultanés : d’une part la possible montée des prix des biens agricoles de petite surface, si j’en crois la tendance sociétale du retour à la terre, d’autre part le risque de faillite bancaire qui s’aggrave, si j’en crois des sons de cloche variés.
- La spéculation souvent nous coupe de nos besoins profonds, ceux du moment et ceux du temps long. Et à échelle plus large, c'est un mécanisme qui participe à l'endommagement du monde.
- Quand mon cher-et-tendre-ex triomphait l’hiver dernier en m’annonçant qu’il avait déjà signé pour un terrain, de son coté, après avoir retiré ses billes juste à temps de notre projet commun erroné, une amie m’a soutenue, « laisse-le se dépêcher de se tromper de nouveau, toi tu as besoin de temps »
- Par exemple, racheter un maraichage existant peut représenter une voie rapide, mais dans la mesure où je ne souhaite pas passer par une phase de maraichage conventionnel, ça ne serait sans doute pas une bonne option pour moi.
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