Jean-Marc Jancovici rappelait il y a quelques jour au micro de je ne sais plus quel-le pseudo-journaliste narcissique que le bilan carbone moyen des français-es moyen-nes se décompose en cinq parts d’ordre de grandeur similaire : une part de déplacements, une part de logement (surtout le chauffage), une part d’alimentation (surtout la viande), une part d’achats (il n’a pas dit surtout les vêtements mais il aurait peut-être pu) et une dernière part, les services publics rapportés aux individus. J’aime bien ce découpage simple qui donne des repères. Mais mon mode de vie, depuis quelques années, ne correspond pas aux moyennes françaises dans bien des aspects. Je mange peu de produits transformés, quasiment pas de viande. Je n’achète de textiles neufs que pour mes sous-vêtements et un pantalon de travail ou une pièce de tissus par an. Je n’acquiers d’objets neufs que mes outils de travail et de communication (ordinateur et appareillage auditif), lesquels je fais durer au-delà de ce qui est usuellement considéré comme raisonnable (1) . Ah, oui, un livre de temps en temps. Et je ne prends plus l’avion.
Pour me faire une idée chiffrée, je viens d’utiliser un calculateur parmi d’autres, celui de GoodPlanet qui a choisi une version simplifiée assez adaptée à ce que je cherche. Mon bilan carbone s’avère donc, conformément à mes hypothèses, majoritairement composé de mes trajets avec mon petit van. Les deux tiers, quand même (2) . Certes mon bilan total est modéré, autour des trois tonnes si je n’ai pas raté de gros poste. A comparer aux huit à onze tonnes en moyenne par personne, selon les grilles. Évidemment, avec moins de mille euros de budget mensuel, je n’ai pas beaucoup de marge pour flamber du carbone. Je vois bien à chaque fois que je reviens en zone urbaine comment l’appel de la consommation de produits transformés, manufacturés, se fait entendre. Chaque pas dans la ville nous expose à des messages publicitaires, des présentations d’objets ou de services auxquels on parvient très bien à ne pas même penser quand on est aux champs, ou en train de tresser un panier. Chaque besoin, chaque nécessité rencontre une offre marchande immédiatement disponible, et même plus. Les options non marchandes, d’échange, de troc, de réparation, de récupération sont toujours plus compliquées à choisir. La résolution que j’ai prise de ne pas chercher trop vite plus de revenus que les loyers des chambres de la maison s’avère une vraie aide dans cette quête. Ça m’oblige à questionner chacun de mes actes d’achat et l’aiguillon économique vient valider mes réticences écologiques face à cette sorte d’oppression que je ressens les rares fois où je circule dans les rayons d’un hypermarché ou dans une rue commerçante bourgeoise.
Je ne suis pas à plaindre ni à admirer. Mon confort matériel et psychologique reste infiniment supérieur à celui des personnes dont le revenu disponible est semblable au mien, parce qu’en ce qui me concerne c’est un choix, parce que j’ai un stock indécent de vêtements et d’objets usuels, parce que je n’ai pas d’obligation sociale contraignante, parce que j’ai du temps et des compétences pour effectuer moi-même beaucoup de choses comme cuisiner et fabriquer ou réparer les objets et surtout parce que j’ai une réserve d'argent en cas de coup dur. Donc oui, j’y arrive sans souffrance, au grand étonnement de personnes de mon entourage qui m’ont connue CSP+ et vivent encore sur cette planète-là. Ce n’est pas une compétition les un-es contre les autres, c’est juste une course contre la montre dans laquelle chacun-e fait ce qu’iel peut, en conscience. Et comme la conscience, ça passe par des données objectivées, examinons donc les données de mes déplacements.
En 2021, j’ai fait une dizaine de rotations entre les régions où se situent mes points d’attache et d’apprentissage agricole. Ça me semblait trop, à la fois pour mon bien être (3) et pour mon bilan carbone, même sans l’avoir réellement calculé.
Début 2022, j’ai tenté de me fixer l’objectif de faire une partie de ces rotations en transport collectif, mais hélas !, je n’ai pas réussi à alléger mes bagages suffisamment. Je trimbale tout le temps des semences, du matériel, des plantes, les semis les plus fragiles pour les surveiller, les jeunes arbres qu’on m’a commandés ou que je souhaite offrir. Donc c’est en van à moteur diesel que j’ai encore parcouru mes quinze mille kilomètres de l’année.
En 2023, j’ai décidé de réduire la fréquence de mes itinérances. Mon objectif est de faire six rotations seulement, soit une tous les deux mois. Et pour le moment je m’y tiens. (4) Cette cadence réduite devrait abaisser mon kilométrage annuel en dessous des dix mille kilomètres, et mon bilan carbone total (simplifié) en dessous des deux tonnes et demie.
En 2024, il sera sans doute possible de réduire encore la fréquence ou l’ampleur de mes déplacements, ou de limiter mes mouvements de matériel végétal sur la Bretagne, ou de changer de véhicule pour un plus petit, plus léger, consommant moins. Bref, descendre mon bilan carbone au niveau équitable va nécessiter encore quelques ajustements, mais ça me semble atteignable.
En attendant, j’ai cliqué sur le bouton « contribuer » qui est proposé après le bilan dans GoodPlanet et j’ai payé les soixante dix euros de ma cote-part de carbone à cette fondation, dont j’espère qu’elle en fera bon usage.
-
Cette ténacité que j’ai de retarder toujours le moment du remplacement, en acceptant la période de fonctionnement dégradé qui précède le dysfonctionnement définitif, me vaut ces temps-ci quelques pics de panique car mes trois appareils ont des pannes aléatoires que j’aurais autrefois interprétées comme signaux de sénescence. Que je devrai normalement interpréter comme des signaux de sénescence. Le chargeur de mon ordi a, depuis quelques jours, une sensibilité à la manière de poser le bloc, mon audicom refuse parfois sans raison et sans préavis de me transmettre le son du téléphone ou de l’ordi, et mon fairphone, acheté d’occasion il y a trois ans déjà, est atteint de fibrillations de l’écran qui disparaissent temporairement avec un bon dépoussiérage mais finissent toujours par revenir. Quelque chose en moi se refuse à remplacer préventivement des engins qui ont coûté tant à la planète et aux humains, alors que selon mon expérience, ils pourraient faire encore grosso modo le job pendant des mois, voire des années. Mon avant dernier ordinateur a duré sept ans dont quatre avec l’écran cassé.
-
Deux-tiers déplacements, vingt pourcent bouffe, treize pourcent chauffage, le reste en achats et déchets.
-
Les séjours courts sont un peu stressants. Sur chaque lieu, je vis avec une liste des choses à faire, qui me harcèle depuis la table ou le bureau sur lequel je l’ai posée. La séparation d’avec le collectif de Rangarnaud va simplifier les choses, c’est certain, car alors, en limousin, je n’ai plus d’activités agricoles importantes. Juste quelques arbres chez Yann et Sarah.
-
Les mois pairs, je ne bouge pas de Bretagne, les mois impairs, je bouge. Un avantage de ce rythme est qu’il a rendu prévisible mon planning pour toutes les personnes avec lesquelles je suis en contact et qui, l’an dernier, avaient du mal à suivre, à me suivre, supposant parfois que j’étais ici alors que non et m’invitant à contretemps. J’ai dû souvent m’excuser de ne pas pourvoir être plus présente, mais ce qui manquait, surtout, je m’en rends compte maintenant, c’est une logique, une règle de base, une indication utilisable.
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.