En France, on mange les fèves fraîches, issues de variétés à graines vertes et charnues. Ailleurs, on mange souvent les fèves séchées, de variétés colorées et plus petites. C’est quand j’ai découvert ça que j’ai décidé de m’intéresser à Vicia Fava. Une légumineuse de plus dans ma gamme, qui se cultive à une autre saison que les haricots - Phaseolus Vulgaris - et se conserve aussi bien !
Ma première récolte de fèves vient de rentrer sur les étagères de semences (1), prête pour la saison prochaine. La manière dont je les ai cultivées est toute une histoire, que j’ai bien envie de conter.
Il y a ma rencontre avec un réseau de jardiniers-semenciers dissidents, inquiets de la pauvreté génétique de nos semences légumières actuelles, et par là, préoccupés de leur handicap face aux changements des conditions pédo-climatiques et sanitaires qui vont balayer l’ensemble de la planète dans les décennies à venir. Ils sont inquiets aussi de la main-mise des grands groupes semenciers sur une ressource absolument cruciale pour nourrir l’humanité et les dérives actuelles et futures qu’un tel pouvoir rend possible. Ce réseau promeut des pratiques destinées à redonner de la diversité génétique aux semences. Il pratique également l’échange de semences, pour aider chaque membre à augmenter la diversité génétique de ses mélanges,
Il y a la déconstruction de l’intérêt des « variétés » (2) . Une variété est, contrairement à ce que son nom suggère, un lignage particulier d’une espèce (3), qui a été obtenu par sélection puis reproduction exclusivement avec lui-même pendant de nombreuses générations, et qui donne des plantes « fidèles » , c’est à dire très très peu variées. Au niveau génétique, les variétés sont appauvries , voire très appauvries, par rapport aux plantes d’origine, elles sont même atteintes de dégénérescence congénitale. Pour germer, grandir et produire le légume promis, elles sont besoin de conditions chouchoutées. Elle sont sensibles aux maladies et parasites et ne sont pas aussi productives que leurs lointains ancêtres.
Il y a la compréhension de ce qui est improprement dénommé la « vigueur hybridale » mise en évidence par Charles Darwin et ses contemporains, il y a donc fort longtemps. L’état hybridé (4) est en réalité l’état le plus courant d’une espèce, car la nature ne sait pas respecter les distances minimales de culture pour empêcher les croisements, mais déjà à l’époque de Darwin l’existence courante des variétés en agriculture avait fait quasiment oublier ce détail .
J’ai donc rassemblé par échanges avec des membres du réseau une dizaine de variétés de fèves, ce qui est un bon début, mais juste un début, pour brasser la génétique. Cet hiver, je les ai semées en « population », c’est à dire tout mélangé sans plus me soucier de la variété. Elles ont même été cultivées en « promiscuité », c’est à dire implantées très proches les unes des autres, et même 3 ou 4 graines de couleurs différentes dans chaque poquet, pour augmenter les chances de pollinisation croisée.
L’écossage des gousses a été un régal, dès la première année ! Combien y a-t’il d’hybrides dans le lot ? Je ne sais pas, et c’est pas grave, je n’en suis qu’au début de cette aventure qui va durer quelques années.
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La semence végétale est une graine apte à produire un individu complet et unique après semi ou enfouissement. J’insiste sur le caractère unique de l’individu obtenu par semence, par opposition à celui obtenu par clonage, replantation de tubercule de pomme de terre ou de dent d’ail, bouture, marcottage et autres modes de multiplication « à l’identique ». Les différents individus obtenus par la semence issue d’un même individu porte-graines seront tous différents les uns des autres, considérablement ou infinitésimalement selon l’espèce, le mode de culture, le mode de pollinisation. Je suis sensibilisée, depuis le début de mon parcours agricole à l’importance de cette diversité, qui fait partie de la biodiversité, dont nous connaissons désormais l’importance pour la survie de l’humanité.
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Une variété végétale est une lignée généalogique qui produit des individus relativement identiques les uns aux autres, presque aussi identiques que ceux qui seraient obtenus par clônage. Des haricots toujours violets, minces, faciles à récolter du fait de leur couleur qui se distingue du feuillage vert, et délicieux à consommer en frais. On perçoit rapidement l’intérêt culinaire et commercial de l’existence de « variétés » . En cuisine, un aliment prévisible ; au marché, un produit reconnaissable . En outre, la variété peut faire l’objet d’une protection juridique et économique, ce qui convient au capitalisme. La production de semences variétales exige le respect d’une distance minimale entre les variétés cultivées, pour empêcher, selon le mode de pollinisation, que le vent ou les insectes transportent le pollen mâle d’un lignage vers les fleurs d’un autre lignage.
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L’espèce végétale regroupe des plantes semblables par leurs formes et par leur génotype, s'accouplant exclusivement les uns aux autres et demeurant indéfiniment féconds entre eux. Mais « semblable » ne veut pas dire identique. L’espèce « haricot commun » (phaseolus vulgaris) comporte des formes naines ou grimpantes, à fleurs blanches, jaunes, violette, rouges, à tige verte ou violette, à feuilles plus ou moins grandes, aux gousses plus ou moins fines, vertes, jaunes ou violettes, plus ou moins rapides à murir, plus ou moins délicates à manger en cru, en cuit. Si on les laisse sur la plantes suffisamment longtemps, les graines se développeront dans les gousses, donnant au final des haricots secs, de taille, de forme et de couleur diverses, qui sont également la semence pour la génération suivante.
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Les hybrides F1 sont une exploitation commerciale de ce mécanisme. Au moyen de techniques d’intervention comme la castration des mâles , un semencier peut produire une hybridation choisie entre deux lignages parfaitement identifiés et produire une semence hybridée de première génération (F1) dont les performances sont excellentes et bien maitrisées. On appelle injustement ces semences « variétés F1 » alors qu’elles n’ont pas la stabilité d’une variété traditionnelle. On doit racheter des semences « neuves » tous les ans pour obtenir le même résultat.
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