Je me fais régulièrement alpaguer sur ma propension à employer une grille de lecture genrée lors de la survenue d’incidents relationnels. Il est vrai que je suis particulièrement chatouilleuse sur ces questions et j’admets qu’il peut m’arriver de recourir un brin exagérément ou un chouia précipitamment à ce point de vue.
Pour autant, une part de moi proteste intérieurement devant les contestations catégoriques de mes interlocuteurices, car en vérité, même lorsque l’intention n’est pas à la domination, les effets sont néanmoins palpables par le seul fait que nous baignons dans une culture patriarcale. Nous en sommes imprégné-es dans de multiples recoins de nos regards, de nos pensées, de nos réflexes, de nos jugements et de nos pratiques.
En vérité, il n’est pas besoin d’avoir l’intention de dominer pour effectivement dominer. Il suffit de disposer ne serait-ce que d’un avantage éducatif, culturel, économique, physique, générationnel, pour bénéficier de l’effet d’intimidation qui constitue un boulevard potentiel pour l’accaparement de la parole, de la décision, de la place. Je suis moi-même parfois autrice d’abus ordinaires, par le seul fait de mon capital intellectuel.
En vérité, même si un homme se comporte durement avec moi simplement parce qu’il est fatigué ou qu’il a des hémorroïdes, le programme patriarcal qui est engrammé en moi peut être activé, si je suis moi-même un peu vulnérable, fatiguée ou distraite. Parce que je n’ai pas (encore) appris à rétorquer du tac au tac aux hommes.
J’aimerai partir du principe que toute situation qui fait ressentir à l’une ou l’autre personne concernée une infériorisation, une dévalorisation, de sa personne, de ses actes ou de ses propos peut, sans interdit a priori, être examinée sous cet angle. J’ai dit examinée. Quitte à conclure que ce n’est pas le cas.
Il doit être envisageable de se demander si la même chose se serait produite si le mâle blanc ici présent avait été un mâle noir ou une meuf de quelque couleur qu’elle soit, bref si le genre, la couleur de peau ou la situation sociale des deux protagoniste était inversée. On doit pouvoir se poser la question et la poser tout haut sans se faire agresser en retour. Parce que la question est légitime, tant que la réponse n’est pas encore formulée.
La question est légitime.
Nombre d’entre nous ont vécu personnellement ou été témoins de situations objectivement sexistes ou de domination, parce que ces situations sont tellement courante dans nos sociétés qu’il n’est pas possible d’y avoir échappé. Il n’est pas possible de ne pas en être insidieusement imprégné-es.
Le cahier de vacances intitulé « En Voiture Simone », disponible chez tous les buralistes depuis le début de l’été propose des exercices de dessin, d’histoire ou de mathématiques tout à fait éclairants et souvent hilarants. Celui qui m’a le plus frappée c’est à dire m’a fait éclater de rire avec une jubilation du style « mais oui mais c’est bien sûr !!!!! » est un exercice de mathématique. Sur la base de deux exemples de films dans lesquels une actrice jouant le rôle de la mère du héros était a peine plus âgée que l’acteur jouant le rôle du fils, vous devez calculer dans combien de décennies il existera un film dans lequel l’actrice jouant le rôle de la mère aura réellement 32 ans de plus que l’acteur jouant le rôle de son fils. Vous suivez ? Plusieurs des personnes à qui j’ai raconté cet exercice ont rit un peu jaune, celles qui ont franchement rigolé avec jubilation étaient toujours des meufs.
Tout ça pour dire que je suis en train de cogiter sur l’importance que revêt pour moi, dans mon projet de vie, dans mes aspirations, la thématique de la domination. Il me semble évident que la situation écologique et énergétique dans laquelle l’humanité se trouve, le désastre vers lequel nous galopons, est la conséquence directe et indirecte de processus de domination. Il y a une relation consubstantielle entre le patriarcat, l’extractivisme, l’accumulation capitaliste, le colonialisme. La substance est la domination. Ca me semble aujourd’hui tellement évident (ça ne l’a pas toujours été clairement) que je me trouve étonnée que ce point de vue ne soit pas partagé, loin de là, par toustes mes compagnes et compagnons d’aventures alternatives, écolos, décroissantes ….
Bien. C’est une réalité avec laquelle je dois composer. Mais alors ….si mes coéquipièr-es ne sont pas sensibles à la question, voire me trouvent un peu relou de la porter, kékonfé ? On fait de la pédagogie ? On met un mouchoir dessus ? Ou bien ... on se lève et on se casse ?
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